L'Héritage des Templiers
point douter, car de Rochefort ne l’autoriserait pas éternellement à sillonner l’abbaye à son gré. Il serait sans doute retenu dans l’une des pièces du sous-sol depuis longtemps utilisée comme réserve, l’endroit idéal pour isoler un ennemi. Et Dieu seul savait ce qui adviendrait de lui alors.
Les choses avaient bien changé depuis son initiation. La règle était claire :
Si un chevalier séculier, ou tout autre homme, veut s’en aller de la masse de perdition et abandonner ce siècle et choisir la vie commune du Temple, ne vous pressez pas trop de le recevoir. Car ainsi le dit saint Paul : Probate spiritus si ex Deo sunt . C’est-à-dire « Éprouvez l’esprit pour voir s’il vient de Dieu. » Mais pour que la compagnie des frères lui soit donnée, que la règle soit lue devant lui et s’il veut obéir à ses commandements, s’il plaît au maître et aux frères de le recevoir, qu’il montre sa volonté et son désir aux frères assemblés en chapitre et devant tous et qu’il fasse sa demande avec courage.
Le rituel avait été respecté et il avait intégré l’ordre. Il avait volontiers prêté serment et était heureux d’être au service de la confrérie. Il était désormais retenu prisonnier à la suite de fausses accusations portées contre lui par un homme dévoré d’ambition. Sa situation n’était pas très éloignée de celle des templiers victimes de l’odieux Philippe le Bel. Le sénéchal avait toujours trouvé ce surnom étrange. En vérité, le roi de France était un homme froid, secret, qui désirait maintenir l’Église catholique sous sa coupe. Son sobriquet faisait référence à son teint clair et ses yeux bleus. Les apparences étaient trompeuses dans le cas du roi comme dans le sien, songea-t-il.
Il se leva et fit les cent pas, habitude prise à l’université. Ces allées et venues l’aidaient à réfléchir. Les deux livres dérobés dans la bibliothèque deux nuits auparavant étaient posés sur son bureau. Les quelques heures qu’il avait devant lui lui offriraient peut-être la dernière occasion de les feuilleter. Dès que l’on découvrirait leur absence, on ajouterait sans doute le vol d’un bien de l’ordre sur la liste des charges qui pesaient contre lui. Il serait ravi que la punition prévue – le bannissement – soit appliquée, mais il savait que son ennemi juré ne le laisserait jamais s’en tirer à si bon compte.
Il attrapa le codex du XVI e siècle, trésor que les bibliothèques du monde entier se seraient volontiers arraché. Le texte était manuscrit en gothique rotunda, script élégant très couramment employé à l’époque pour les ouvrages savants. Les signes de ponctuation y étaient rares, les pages noircies de texte, sans place perdue. Un scribe avait dû passer des semaines à le recopier assis à son écritoire, enfermé dans le scriptorium de l’abbaye, plume à la main, dessinant patiemment chaque lettre sur le parchemin. Hormis quelques traces de brûlure sur la reliure et les taches de cire sur un grand nombre de pages, le codex était dans un état de conservation remarquable. L’une des grandes missions de l’ordre consistait à préserver le savoir qu’il avait accumulé, et le sénéchal avait eu la chance de tomber sur cette mine de connaissances enfouie parmi les milliers de volumes que contenait la bibliothèque de l’abbaye.
« Vous devez aller au bout de votre quête. Tel est votre destin. Que vous en soyez conscient ou pas. » Voilà ce qu’avait dit le maître à Geoffrey. « Nombreux sont ceux qui se sont engagés sur la voie que vous vous apprêtez à prendre, mais aucun n’est jamais parvenu à ses fins », avait-il cependant ajouté.
Le maître et Geoffrey en savaient-ils aussi long que lui ? Certainement pas.
Il attrapa l’autre volume au texte également manuscrit, pas par des copistes celui-là. Il datait de 1897 et on le devait au maréchal de l’époque qui avait été en contact direct avec l’abbé Jean Antoine Maurice Gélis, prêtre de la paroisse de Coustaussa, village de la vallée de l’Aude voisin de Rennes-le-Château. Leur rencontre s’était révélée providentielle car elle avait permis au maréchal d’obtenir certaines informations cruciales.
Le sénéchal s’assit et feuilleta une nouvelle fois le compte rendu.
Certains passages qui l’avaient passionné lorsqu’il les avait lus pour la première fois trois ans plus tôt retinrent son
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