L'Héritage des Templiers
qui ressemblait à de la peinture turquoise. Un polo de couleur vive couvrait son torse décharné. Il devait approcher de la soixantaine et sa silhouette dégingandée lui donnait l’air d’une mante religieuse ; il avait un visage agréable aux traits réguliers. Il n’y avait plus trace d’aucune vivacité d’esprit dans ses yeux sombres, enfoncés dans leurs orbites, mais son regard n’en restait pas moins perçant. Ses pieds nus étaient sales, ses ongles négligés, sa chevelure et sa barbe grisonnantes tout emmêlées. L’infirmier les avait prévenus : malgré ses hallucinations, Claridon se montrait généralement inoffensif, mais la plupart des pensionnaires et du personnel soignant de l’institution l’évitaient.
« Qui va là ? » s’enquit Claridon en jaugeant Malone et Stéphanie, le regard distant et perplexe.
L’asile occupait les murs d’un gigantesque château, propriété de l’État français depuis la Révolution si l’on en croyait le panonceau placardé à l’entrée. La configuration du bâtiment défiait les lois de la symétrie. Les anciens salons logeaient désormais les pensionnaires. Malone et Stéphanie se trouvaient dans le solarium dont la gigantesque baie vitrée offrait un point de vue imprenable sur la campagne environnante. Des nuages voilaient le soleil de midi. D’après l’un des infirmiers, c’était là que Claridon passait le plus clair de son temps.
« Vous venez de la commanderie ? demanda Claridon. C’est le maître qui vous envoie ? J’ai bien des informations à lui transmettre.
— Le maître nous envoie vous parler, répondit Malone qui avait décidé de jouer le jeu.
— Ah, enfin ! J’attends depuis si longtemps. »
Malone fit signe à Stéphanie de reculer. L’homme se prenait pour un templier et les frères devaient éviter tout contact avec les femmes. « Dites-moi tout, mon frère. »
Claridon gigota sur sa chaise avant de se lever d’un bond, balançant sa maigre carcasse d’avant en arrière. « Affreux, absolument terrifiant. Nous étions cernés. Des ennemis à perte de vue. Il ne nous restait plus que quelques flèches, nos vivres étaient avariés à cause de la chaleur, nous n’avions plus d’eau. Beaucoup avaient été vaincus par la maladie. Nous n’allions plus tenir bien longtemps.
— La situation semblait critique. Qu’avez-vous fait ?
— Il s’est passé quelque chose de bizarre. Un drapeau blanc a été hissé par-dessus l’enceinte. Nous nous dévisagions, décontenancés, en prononçant les paroles auxquelles nous n’osions croire : “Ils veulent parlementer.” »
Malone était féru d’histoire médiévale. Il n’était pas rare de parlementer au temps des croisades. Lorsqu’elles se trouvaient dans l’impasse, les armées ennemies négociaient souvent pour pouvoir battre en retraite et revendiquer la victoire.
« Êtes-vous allés à leur rencontre ? »
Le vieil homme hocha la tête en levant quatre doigts malpropres. « Cernés par leurs hordes, nous avons chevauché jusqu’à leur campement et, à chaque nouvelle entrevue, nous avons été reçus chaleureusement ; les discussions avançaient. Nous avons fini par trouver un accord.
— Dites-moi : quel message devez-vous communiquer au maître ?
— Quelle insolence, rétorqua Claridon, l’air agacé.
— Que voulez-vous dire ? J’ai beaucoup de respect pour vous, frère. C’est la raison de ma venue. Frère Lars Nelle vous croit digne de confiance. »
Le vieil homme eut l’air tout à coup désemparé, puis soudain, il parut se rappeler. « Je me souviens de lui. Un valeureux guerrier. Il s’est battu avec beaucoup de dignité. Oui, oui. Je me souviens de lui. Frère Lars Nelle. Paix à son âme.
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Vous n’êtes pas au courant ? fit Claridon, incrédule. Il est mort au combat.
— Où ?
— Ça, je l’ignore, je sais simplement qu’il repose auprès de Dieu, désormais. Nous avons dit une messe à sa mémoire et avons beaucoup prié pour lui.
— Avez-vous rompu le pain avec frère Nelle ?
— De nombreuses fois.
— A-t-il jamais fait allusion à sa quête ?
— Pourquoi me demander ça à moi ? » fit Claridon en se plaçant à droite de Malone, sans le quitter des yeux.
Le petit homme nerveux se mit à lui tourner autour, comme un chat. Malone décida de placer la barre plus haut, quel que soit le jeu auquel se livrait le vieil homme
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