L'histoire secrète des dalaï-lamas
juste accorder un répit dans la seconde moitié des années 1950. Les combats sanglants qui opposent la résistance tibétaine aux soldats de l’APL décident Mao Zedong à suspendre pour une période de six ans les réformes initialement prévues par l’Accord en 17 points. Parallèlement, il donne à Chen Yi la mission de convaincre le dalaï-lama et son entourage d’unir leurs efforts à ceux de Pékin, afin de faciliter la « modernisation » du pays, c’est-à-dire sa sinisation. Celle-ci passe par la fondation du Comité préparatoire pour la Région autonome du Tibet (CPRAT) le 22 avril 1956 et, sous la présidence du dalaï-lama, par le partage du pays en trois grandes régions.
La première séance du CPRAT s’ouvre le 6 mai. Tenzin Gyatso la dirige. Il est assisté de ses deux vice-présidents, le panchen-lama et Zhang Guo-hua, le général commandant la région militaire du Tibet depuis 1952. C’est le secrétaire général Ngabo Ngawang Jigmé, gouverneur du Kham, qui introduit ce jour-là les cinquante-six membres du CPRAT : quinze représentent le gouvernement local du Tibet, c’est-à-dire le dalaï-lama ; dix, le conseil des khenpos de Tashilhunpo et donc le panchen-lama ; dix encore, le comité de libération populaire de la région de Chamdo ; cinq autres, le comité du travail du Tibet : Chinois, ils sont les représentants de Pékin. Les onze derniers sont issus des principaux clans de la société tibétaine, laïcs et religieux. Force est de constater que l’autorité politique du dalaï-lama est dès lors réduite en miettes. Le Tibet est en train de faire le deuil de son indépendance.
En 1956, à l’occasion du Buddha Jayanti [443] , le maharadjah Kumar du Sikkim et la Mahaboddhi Society of India lancent une invitation aux hauts dignitaires du bouddhisme tibétain. Il s’agit d’une fête religieuse, mais le voyage revêt également un caractère politique. À Lhassa, les négociations se sont engagées, interminables, dans ce but mais finissent par aboutir. Le dalaï-lama quitte Lhassa, en novembre 1956, pour Shigatsé et le monastère de Tashilhunpo, où l’attend le panchen-lama. Après quoi, ils se dirigent ensemble vers la frontière indienne par la route empruntée par les caravaniers.
Les délégations tibétaines – plus de deux cents personnes – se composent de hauts dignitaires, de lamas et de très nombreux fonctionnaires chinois. L’accueil en Inde est grandiose. Partout, une foule passionnée les attend. Le président indien, le Dr. Rajendra Prasad [444] , reçoit officiellement le dalaï-lama et le panchen-lama au cours d’un déjeuner organisé dans sa résidence. Le vice-président indien, le Dr. Sanvepalli Radakrishnan [445] , et le Premier ministre, Nawarharjal Nehru, sont là.
Durant ce voyage, Zhou Enlai s’entretient également avec le dalaï-lama. En vain. Rien ne change pour le Tibet. Pékin continue à faire la sourde oreille aux appels lancés par Tenzin Gyatso en vue d’une négociation pacifique.
Le gouvernement indien met à la disposition des visiteurs un train spécial. Ils visitent les principaux sites du bouddhisme : Sanchi, Ajanta, Bénarès, Bodhgaya..., des lieux qui resplendissent d’une rare densité spirituelle. Les délégations visitent également l’usine aéronautique de Bangalore et le site du programme hydroélectrique de Nangal. Le souverain tibétain fait, durant ce voyage, des comparaisons entre son périple en Chine deux ans plus tôt et la découverte de la Terre sacrée. L’Inde vit alors une grande histoire politique : dans cette toute jeune démocratie, le mot liberté prend tout son sens.
Le 10 décembre 1956, au cours d’une ultime rencontre du souverain tibétain avec Zhou Enlai et Nehru, le pandit pousse Tenzin Gyatso à rentrer au Tibet. Le dalaï-lama est de retour à Lhassa en avril 1957. Car la tension a monté d’un cran.
La désillusion
Hiver 1955-1956... Les combats font rage dans l’est du Tibet. Les soldats de l’Armée populaire de libération attaquent sur tous les fronts. Le Kham est à feu et à sang. Soutenue par les populations, la résistance s’organise. Chaque jour, des cavaliers khampas se lancent à l’assaut des troupes communistes. Jamais en manque d’astuces, ils montent des opérations de guérilla qui causent beaucoup de pertes dans les rangs ennemis.
Informé de l’avancée des troupes chinoises par Robert Ford, opérateur radio anglais en poste à Chamdo,
Weitere Kostenlose Bücher