L'homme au ventre de plomb
vraisemblable.
Truche de La Chaux lui avait involontairement soufflé la
solution : se faire passer pour un représentant de la police
des jeux et interroger le jeune homme sur sa fréquentation du Dauphin couronné .
Le vidame avait-il
été mis en garde contre lui ? C'était peu
probable, compte tenu de ses mauvaises relations avec son père.
Nicolas devrait s'appuyer sur ces dissensions familiales afin de
pousser un coin et d'inciter à parler le fils cadet, désormais
promis à un autre destin par la disparition de son frère.
La maison où
habitait le vidame était sans apparence, ni cossue ni pauvre.
Une maison bourgeoise et banale dans une rue banale. Pas de portier
pour barrer la route à Nicolas, qui gagna en quatre enjambées
l'entresol. Il frappa à une porte en ogive qui s'ouvrit
presque aussitôt, encadrant un jeune homme plus intrigué
que fâché de son incursion. En culottes et en chemise
sans cravate et sans manchettes, une main sur la hanche, il
interrogea Nicolas d'une levée du menton. Les sourcils fournis
et arqués se dressèrent au-dessus des yeux d'un bleu
profond et la bouche s'avança en une sorte de moue. Les
cheveux étaient juste noués par un nœud sur le
point de se défaire. A cette première impression
agréable succéda une seconde, plus inquiétante.
Nicolas nota la pâleur du visage aux pommettes saillantes et
empourprées et les cernes des paupières, le tout
baignant dans une sueur de fatigue. Des taches violacées
accentuaient encore le caractère défait d'un homme qui,
pour Nicolas, n'avait pas fermé l'œil depuis longtemps.
– Monsieur
de Ruissec ?
– Oui,
monsieur. A qui ai-je l'honneur ?
– Je suis
policier, monsieur, et souhaiterais vous entretenir.
Le visage
s'empourpra, puis pâlit Le vidame s'effaça et invita
Nicolas à entrer. Le logis était composé d'une
vaste pièce, basse de plafond et sans clarté. Deux
ouvertures en arc de cercle au ras du plancher ouvraient sur la rue.
L'ameublement était élégant sans excès,
et rien n'évoquait la vocation religieuse de l'occupant.
C'était la garçonnière d'un jeune homme voué
davantage à une vie de plaisirs qu'aux méditations
spirituelles. Le vidame demeura debout à contre-jour et
n'invita pas Nicolas à s'asseoir.
– Eh bien,
monsieur, puis-je vous aider ?
Nicolas décida
de frapper d'emblée un grand coup.
– Avez-vous
remboursé M. de La Chaux du prêt qu'il vous a consenti,
ou plutôt du gage qu'il vous a confié ?
Le vidame rougit Ã
nouveau.
– Monsieur,
c'est une question personnelle entre lui et moi.
– Savez-vous
que vous fréquentez un lieu dans lequel le jeu est interdit,
et par conséquent que vous êtes passible des lois ?
Le jeune homme
releva la tête avec un mouvement de défi.
– Je ne suis
pas le seul à Paris à courir les tripots. Je ne sache
pas que, pour autant, la police du royaume en fasse toute une
affaire.
– C'est que,
monsieur, tous vos semblables ne se destinent pas à la
prêtrise, et l'exemple que vous donnez...
– Je ne me
destine nullement à l'état religieux. Cela, c'est du
passé.
– Je vois
que la mort de votre frère vous ouvre la carrière !
– Ce propos,
monsieur, est bien inutilement offensant.
– C'est que
tous vos semblables ne bénéficient pas non plus de la
mort d'un proche.
Le vidame fit un
pas en avant. Sa main gauche se porta instinctivement à son
côté droit pour y chercher la poignée d'une épée
absente. Nicolas nota le mouvement.
– Monsieur,
prenez garde, je ne me laisserai pas impunément insulter.
– Répondez
plutôt à mes questions, fit sèchement Nicolas. Je
vais d'ailleurs être franc avec vous et vous prie de prendre en
considération mon ouverture. J'enquête aussi et surtout
sur la mort de votre frère, dont votre père, le comte
de Ruissec, a réussi à camoufler le meurtre. Non
seulement le sien, mais celui de votre mère.
Il entendit comme
un sanglot.
– Ma mère
?
– Oui, votre
mère, sauvagement étranglée et jetée dans
le puits des morts au couvent des Carmes. Votre mère, qui
souhaitait me confier son tourment et qui est morte à cause de
ce secret. Certains avaient
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