L'homme lesbien : Précédé de Tombeau de Merlin ou Jean Markale, poète de la celtitude
l’être à deux , différents et qui tendent à l’ un , autrement dit, aspirent à l’androgynat primordial décrit par les poètes et les philosophes d’autrefois et qui fut cher à Platon, lequel, en développant ce mythe, voulait justifier son homosexualité. Androgynat du reste évoqué dans la Genèse avant la stupide anecdote de la côte d’Adam devenue la femelle Ève, mère de l’humanité, mais épisode que personne encore n’a osé comprendre parce qu’il bouleverse les idées toutes faites que l’on se fait de la destinée humaine. Il vaut peut-être mieux revenir à ces quelques vers de Paul Éluard :
« Nous n’irons pas au but un par un mais par deux
Nous connaissant par deux nous nous connaîtrons tous
Nous nous aimerons tous et nos enfants riront
De la légende noire où pleure un solitaire. »
C’est évidemment la rencontre d’Éluard et de Gala qui a provoqué cette mutation dans le comportement du poète. Celui-ci était issu d’un milieu ouvrier de banlieue, son père était un sympathisant socialiste. Ce milieu, tout en étant révolutionnaire sur le plan politique et social, cultivait une morale et des habitudes guère différentes de celles pratiquées dans la classe bourgeoise. Il a fallu la rencontre, dans un sanatorium, de la jeune fille étrangère, libre et cultivée, pour métamorphoser la vision qu’avait encore de la Femme le jeune poète nourri de traditions. Ce fut pour lui un bouleversement.
Ayant découvert une complice et une égale, Paul Éluard a pu vivre physiquement, affectivement, une forme supérieure de sensibilité amoureuse qui fut aussi celle des grands utopistes de l’amour, comme, par exemple, Charles Fourier. « Éluard ne prend pas une femme, une amie qui se donnerait ou lui accorderait ses faveurs , comme l’a écrit un auteur célèbre à propos de la grande Lise Deharme. Éluard aime et ne consomme pas l’autre. Il aime une autre, égale, semblable et différente, il l’aime heureuse dans ses désirs, même pour d’autres » (Gérard Verroust, Colloque de Nice ). Cela corrobore ce que rapportait Léonor Fini en 1982 : « Éluard avait horreur de la jalousie. Il disait qu’il fallait partager ses amantes et ses amants avec des amis. » On peut voir là une sorte de candaulisme, mais débarrassé de ses composantes perverses.
Il ne suffit pas de se dire « homme lesbien » pour en acquérir la mentalité : il faut se découvrir une complice. Les femmes n’accepteraient pas toutes de vivre une telle forme d’amour. Bâillonnée depuis des siècles par une société dirigée par des mâles, façonnée – la plupart du temps par sa mère – dans un moule où elle est réduite au rôle d’épouse, de mère et de ménagère, la femme n’est guère disposée à assumer la complicité amoureuse que lui propose l’homme lesbien. C’est pourquoi la relation entre Gala et Éluard est assez exceptionnelle. Elle a duré même après leur séparation effective.
Gala est devenue la compagne de Salvador Dali sans renoncer à la relation privilégiée qu’elle avait avec Paul Éluard. Situation d’autant plus inconfortable pour elle qu’elle était sinon détestée, incomprise par les milieux littéraires et artistiques de son époque, notamment par les Surréalistes au groupe desquels appartenaient encore Éluard et Dali. Et situation qui entraînera un problème matériel pour Salvador Dali ( Avida Dollar , comme l’avait appelé André Breton par dérision, en jouant sur l’anagramme de son nom) et a pu nourrir peut-être les outrances, la mégalomanie galopante qui touche bien souvent au génie, le sens aigu de la provocation et la superbe attitude en face de la vie quotidienne (10) d’un des plus brillants représentant du surréalisme.
La question est de savoir pourquoi, après avoir connu avec Éluard cette étrange intimité qu’on ne peut classer que comme « lesbienne », Gala, femme libre et indépendante, a entretenu une relation amoureuse d’un genre très spécial avec le peintre catalan. Il fallait que les deux hommes aient un certain nombre de points communs. Sinon, Gala aurait-elle jamais vécu avec lui ? Alors Dali, homme lesbien ? Pourquoi pas. Personne n’a osé parler de cette particularité. Cependant cela paraît être une évidence : si, à la fin de sa vie, le peintre catalan a entretenu une relation très spéciale avec Amanda Lear, de notoriété publique, un(e)
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