L'Hôtel Saint-Pol
m’en irai.
– Les rues sont peu sûres, observa Lignac en insistant.
– Hé ! s’écria Colin de Puisieux, ne vois-tu pas que monseigneur attendra peut-être le grand jour pour s’en aller ?
Le duc d’Orléans éclata de rire et gaiement fit un signe de la main à ses gentilshommes qui tournèrent bride.
Louis d’Orléans entra donc dans la maison avec ses quatre pages qui furent aussitôt conduits dans une salle où les attendait une bonne table. Par une jolie suivante tout attifée de satin, le duc fut mené auprès de l’hôtesse.
– Mon cousin, dit froidement Isabeau, qui était assise dans un vaste fauteuil gothique, enveloppée dans le manteau royal de velours bleu fleurdelysé d’or, je vous ai fait venir pour vous dire que j’ai fort parlé de vous avec le roi. Il est nécessaire que vous sachiez ce qui s’est dit.
Le duc éprouva la violente déception d’un affamé qui voit fuir devant lui la table à laquelle on vient de le convier. Il attendait un mot d’amour. Il frémit en se disant qu’il allait être question de politique. À ce moment, Isabeau continua lentement :
– Le roi, en ce moment même, discute avec lui-même à votre sujet. S’il repousse les conseils que je lui ai donnés, il n’y aura rien de changé à votre situation à la cour de France. Mais s’il prend les résolutions que j’attends, il vous enverra chercher aussitôt…
– Où cela, madame ? Chez moi ? fit le duc emporté par un intérêt soudain.
– Non pas. Ici même. Il ne vous sait pas ici. Mais Bois-Redon sait, lui. Et cela suffit. Donc, si le roi vous demande, Bois-Redon accourra ici.
Sans savoir pourquoi, le duc d’Orléans se sentit froid au cœur. C’était pourtant des paroles bien simples. Bois-Redon devait venir le chercher si le roi demandait à le voir. Quoi de plus naturel ? Et il se sentit glacé. Pourquoi ? Pour rien. C’était le destin qui le prévenait… car ces simples paroles d’Isabeau, c’était sa condamnation à mort.
Presque aussitôt, cette étrange impression s’effaça.
Plus étroitement, Isabeau s’enveloppait dans les larges replis bleu sombre. Elle était aussi peu femme que possible. Elle était la reine.
– Puis-je savoir, reprit Orléans étonné, ce qui s’est dit entre mon frère et vous ?
– Duc, dit Isabeau avec la même lenteur, je vous ai fait venir pour vous le dire : le roi, fatigué, malade, obligé de s’avouer impuissant dans sa puissance, le roi veut se retirer.
Orléans ne comprit pas tout de suite. Mais son esprit se mit à bouillonner.
– Se retirer, continua Isabeau. Pour deux ans, cinq ans peut-être. Jusqu’à complète guérison. C’est-à-dire, ajouta-t-elle plus bas, se retirer pour toujours sans doute.
– Se retirer ! murmura le duc d’Orléans. Mais où ?
– Il n’y a qu’un lieu où ceux qui ont porté la couronne puissent entrer de plain-pied. C’est le couvent. Un roi, duc, c’est un homme. Mais cet homme est bien près de Dieu. De l’Hôtel Saint-Pol au couvent des Célestins, il n’y a qu’un pas.
Louis d’Orléans demeura écrasé, ébloui de ce qu’il entrevoyait. Isabeau l’acheva :
– Il faut un roi, dit-elle. Il faut que quelqu’un ramasse cette couronne que, d’un coup de pied, il a envoyée se briser contre une colonne. Duc, j’ai dit que ce quelqu’un ce serait vous… oh ! ne vous étonnez pas, ou du moins pas encore. Vous m’avez crue votre ennemie… Vous vous êtes trompé. Mais fussé-je votre adversaire dans la bataille autour du trône, j’en sais assez sur le compte de tous, même de Berry, même de Bourgogne, pour être certaine que vous seul saurez vous montrer magnanime pour la « veuve » de Charles VI. N’êtes-vous pas, d’ailleurs, tout désigné ? Le frère du roi de France n’est-il pas le premier personnage du royaume, et si le roi s’en va, qui donc peut, sans susciter une guerre civile, prendre dans ses mains ce sceptre à demi brisé, qui donc, sinon vous ?
Le duc écoutait avec enivrement ces paroles qui, d’avance, le sacraient roi de France.
– Et c’est vous, balbutia-t-il, qui avez… à mon frère…
– C’est moi qui vous ai désigné, dit simplement Isabeau. Le roi parti, je ne suis plus rien. J’ai regardé autour de moi. J’ai choisi celui en qui j’ai cru voir la générosité qui pardonne.
– Générosité ! s’écria ardemment le duc. Ah ! madame, ni générosité, ni pardon ! Reine vous êtes,
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