L’Inconnue de Birobidjan
les mains, se présenta avant que Levine ne puisse le faire :
â Iaroslav Peretz Sobilenski. Ma mère nâa jamais pu se décider entre Iaroslav et Peretz, et finalement moi non plus. Mais toi tu peux choisir, je réponds à lâun ou à lâautre,dâordinaire on réclame davantage Iaroslav que Peretz. Câest lâhabitude russe qui veut ça, je suppose.
Levine présenta les femmes, Vera Koplevna, Guita Koplevna et Anna Bikerman. Bien sûr, Vera et Guita étaient sÅurs.
â Mais pas jumelles. Tout le monde croit quâon est jumelles, mais pas du tout. Vera a deux ans de plus que moi. Elle en est très fière parce quâelle croit quâelle fait plus jeune que son âge. Câest tout lâinverse, hélas, mais câest si bon de vivre dâillusions.
Il y eut des rires. Le sourire pétillant, Anna Bikerman agrippa le bras de Marina.
â Jusque-là , notre camarade directeur nâavait que moi comme jeunette dans sa troupe. Sois prudente avec lui, il a perdu lâhabitude des belles femmes.
Levine rit pour masquer son embarras, voulut prendre la parole de manière un peu sérieuse. Vera Koplevna ne le laissa pas faire :
â Pas de grands discours, Metvei. On est trop fatigués et ce quâa besoin de savoir notre nouvelle camarade tient en dix phrases. Avec Anna et ma sÅur Guita, cela fait vingt-cinq ans que nous jouons ensemble. Et câest ensemble que nous avons décidé de venir ici, au GOSET de Birobidjan. Câétait il y a dix ans. On a vu beaucoup de choses, des belles et dâautres. Il fut un temps où on ne sâentendait pas, dans ce foyer, tant il y avait dâacteurs et dâactrices à piailler comme des perruches. Et ce vieux bonhomme qui ne paye pas de mine à côté de toi, il y a quarante ans il pouvait déplacer deux mille personnes pour une soirée de contes yiddish à Varsovie ou à Berditchev. Iaroslav est modeste, alors câest moi qui te le dis. Il a travaillé avec Granovski et Mikhoëls dans le premier GOSET de Moscou. Si tu veux sincèrement te mettre à lâécole du théâtre yiddish, personne ne pourra mieux te lâapprendre que notre Iaroslav. Voilà .
Elle adressa un grand sourire à Marina et un clin dâÅil à sa sÅur, qui pouffa.
â Tu vois, Metvei : en dix phrases !
Iaroslav dit à Marina :
â Comme tu le constates, nous savons parfaitement faire notre propre propagande. Vera parle dâun tempsâ¦
Anna lâinterrompit :
â Ce thé est imbuvable, Iaroslav⦠As-tu prévu de quoi fêter cet événement, camarade directeur ?
â Je croyais que tu voulais te reposer, Anna. Ce soir nous pourronsâ¦
La porte du foyer sâouvrit violemment.
â Metvei !
La politruk Mascha Zotchenska jaillit dans le foyer, la neige encore collée au revers de ses bottes et les mèches plaquées sur ses joues brûlantes. Elle bondit au cou de Levine en bousculant tout le monde.
â Metvei, oh, Metvei ! Câest fini, on a gagné ! LâArmée rouge a gagné ! Les fascistes sont vaincus à Stalingrad !
Zotchenska était en larmes. Elle sâaccrochait à Levine en sanglotant et lui couvrait le visage de baisers. Marina recula pour laisser le vieux Iaroslav détacher la politruk de Levine. Le rire de Guita tintait au milieu des exclamations. Levine repoussa Zotchenska, la suppliant de se calmer :
â Mascha, Mascha, je tâen prie !
Vera parvint enfin à lâapaiser pendant que Levine cherchait le regard de Marina. Entre ses sanglots de joie, Zotchenska répondit enfin aux questions de Iaroslav et dâAnna.
La nouvelle de la victoire, ils lâavaient eue tôt le matin, mais sans y croire. Craignant de se faire une fausse joie. Un garçon de la poste était venu annoncer à Klitenit quâil avait capté une émission à la radio. Ils avaient passé des heures au téléphone à attendre une confirmation de Khabarovsk. Le secrétariat du Parti avait enfin confirmé. La secrétaire Priobine avait appelé Mascha en personne. Elles ne pouvaient plus parler, tant elles pleuraient de joie dans le combiné. Mais câétait vrai, ça y était ! Les Boches étaient vaincus à Stalingrad. LâArmée rouge
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