L’Inconnue de Birobidjan
possédaient un peu de couleur sous une pulpe craquelée.
Je ne parvins pas à la trouver laide. On avait plutôt envie de la prendre dans ses bras pour quâelle puisse se reposer un peu. Sâabandonner. Jâavais oublié quâen taule la grasse matinée sâinterrompt à six heures trente du matin.
Elle ne parut pas étonnée de me voir. Plutôt sans émotion. Passive et patiente, comme si ma présence devant elle, dans cette prison, nâétait quâune des péripéties imprévisible qui peuplaient désormais son temps. Peut-être était-ce dû à la fatigue. Elle sâimmobilisa à deux mètres de moi. Le bleu de ses yeux me fixa. Elle attendit que je parle.
La surveillante qui lâaccompagnait ferma la porte en restant à lâintérieur. Je pris un air important. Mon autorisation de visite réapparut entre mes doigts, le tampon du Sénat bien visible.
â Je veux rester seul avec le témoin.
La femme lorgna sur le papier en faisant cliqueter son trousseau de clefs. Je crus quâelle allait refuser. Peut-être eus-je vraiment la tête dâun emmerdeur arrogant ? Elle grommela que jâavais une demi-heure, pas davantage, et sortit. Jâattendis quâelle passe derrière la vitre grillagée pour ouvrir le sac.
â Je vous ai apporté des vêtements et un nécessaire de toilette, Miss Gousseïev.
Un pli se creusa entre ses sourcils. Elle noua ses doigts comme pour réprimer un frisson. Je lui souris.
â Jâai pensé que vous aimeriez pouvoir changer de robe.
Elle ne se détendit pas. Elle demanda :
â Qui êtes-vous ?
â On sâest vus à lâaudienceâ¦
â Je sais. La carafe dâeau. Et le président vous a appelé « monsieur KÅnigsman ». Qui êtes-vous ? Qui vous envoie ?
Elle avait bonne mémoire â si jâavais besoin dâune confirmation. Pas le genre de femmes non plus à accepter les cadeaux. Je mâassurai que la matonne nâétait plus derrière la porte vitrée et priai le bon Dieu pour quâil nây ait pas de micro dans la salle.
â Personne ne mâenvoie, Miss Gousseïev. Je suis venu parce que je vous crois. Je pense que vous nâavez pas tué lâagent de lâOSS et que vous nâêtes pas une espionne.
Pas un cillement de paupière. Pas un souffle de plus. Le bleu de ses yeux glissa vers lâombre comme un ciel de nuit.
â Je suis journaliste. Jâécris pour le New York Post . Je peux vous aider.
â Vous mentez.
â Non, pourquoi jeâ¦
â Vous mentez. Les policiers mâont prévenue : personne nâa le droit de venir me visiter ici, en prison. Surtout pas les journalistes.
â Jâai une autorisation, Missâ¦
Je mâapprêtai à la ressortir de ma poche. Elle ne mâen laissa pas le loisir.
â Pas la peine. Vous nâêtes pas journaliste non plus. Les journalistes nâont pas le droit dâécouter ce que je dis à lâaudience.
Son accent était revenu, alourdissant ses phrases.
â Miss Gousseïev⦠Marina⦠Ãcoutez-moi ! Je suis journaliste. Mon journal a passé un accord avec le président de la Commission, le sénateur Wood. On me laisse assister à lâaudience. Je ferai un papier sur vous. Un grand article qui racontera votre histoireâ¦
Elle mâinterrompit, dénoua ses mains pour pointer la poche de mon veston.
â Câest une fausse autorisation ? Vous avez payé ?
Je réfléchis à toute vitesse à ce que je pouvais lui dire de convaincant. Pas grand-chose.
â Je vous ai apporté des vêtements pour que vous soyez plus à lâaise devant eux. Jâassiste aux audiences de lâHUAC depuis deux ans. Ils ne vont pas vous faire de cadeau. Le sénateur McCarthy et le représentant Nixon ont besoin que vous soyez une espionne pour leurs magouilles politiques. Que ce soit faux, ils sâen moquent. Ils fabriqueront les preuves nécessaires avec le FBI. Tout le monde croira quevous avez tué ce type, Apron. Et vous passerez le restant de vos jours en prison.
Elle haussa les épaules, eut un geste qui me serra la gorge.
â Mais je peux vous aider ! Rendre votre histoire publique. La vraie
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