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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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parole. Il assura que l’arrivée d’une nouvelle et grande actrice moscovite dans la troupe du Birobidjan était non seulement un honneur pour la culture de la région autonome, mais également un apport indispensable à la troupe qu’il dirigeait. Après deux années de disette, la présence de Marina permettrait enfin de monter de nouveaux spectacles. N’était-ce pas ce que tout le monde attendait avec impatience en ces temps si durs deguerre et de privations ? Évidemment, il n’était pas question de discuter, et encore moins de contourner, les restrictions apportées à l’immigration dans la région. Le cas de la camarade Gousseïeva relevait seulement d’une validation temporaire de deux ans de son passeport intérieur. Il s’agissait de combler enfin la vacance d’un poste de travailleuse culturelle. Un vide préjudiciable à l’œuvre même du GOSET. Combien de fois Levine n’avait-il pas réclamé, et jusqu’à Moscou, une candidate ? En outre, allait-on insulter le grand Solomon Mikhoëls, acteur fabuleux et président du Comité antifasciste juif, en repoussant l’aide qu’une fois encore il apportait au peuple du Birobidjan ?
    Levine parlait avec la verve et l’assurance d’un homme accoutumé au respect. Comme Zotchenska, les autres femmes du comité peinaient à détourner leurs regards de son beau visage. Leurs traits sévères, endurcis par la rudesse de la vie sibérienne, paraissaient s’apaiser comme sous une caresse. Le vice-président Klitenit écoutait patiemment, paupières mi-closes, la moustache constamment noyée par la fumée de ses cigarettes. Son vieux collègue opinait, adressait des sourires bienveillants à Marina. Fugacement, Marina eut conscience que l’influence de Levine sur le comité devait être très différente de celle d’un simple directeur de théâtre.
    Cependant, elle n’eut guère l’occasion d’y songer. Elle dut remplir une petite liasse de formulaires. Son passeport intérieur fut rapidement tamponné, son nom inscrit dans le registre des Juifs du Birobidjan. La réunion du comité s’acheva sur des vœux de bienvenue. On s’inquiéta de son logement et de ses besoins avec amabilité, on lui promit toute l’aide dont elle aurait besoin et de venir l’admirer le plus tôt possible. Mon Dieu, comme Levine avait raison ! Jusque dans les villages les plus reculés du nouvel État juif, et même dans les garnisons de l’Armée rouge stationnées sur les rives de l’Amour, on se languissait de voir de nouvelles pièces du GOSET.
    Klitenit eut finalement l’honneur de clore la décision du comité. Il ne s’embarrassa pas d’un discours. Quand chacun fut debout, Mascha Zotchenska chuchota un instant avec Levine. Il sourit, murmura à son tour. Pour la première fois, Marina entendit le rire de la politruk.
    Lorsqu’ils sortirent de la salle de réunion, un photographe fut convié. Il réunit tout le monde devant les bustes de Lénine et de Staline qui encadraient les marches du bâtiment. Lui aussi avait été bâti en brique, dix ans plus tôt, juste après le théâtre. Comme tous les bâtiments administratifs de l’Union soviétique construits après la mort de Lénine, il ressemblait à un caveau massif et pompeux.
    Nadia, venue attendre Marina et son cousin Metvei, posa parmi les autres. Dès le lendemain, deux photos ornaient la première page du Birobidjaner Stern , le plus ancien et très officiel journal yiddish du Birobidjan. Nadia avait couru le chercher sous la neige qui tombait dru. À la une, à côté de la photo de groupe prise devant le bâtiment du comité, un large portrait de Marina occupait un bon quart de la page.
    Sur le cliché de groupe, on voyait distinctement le regard de Zotchenska levé vers Levine tandis qu’il fixait l’objectif, sa main reposant sur l’épaule de Marina. À son côté, Klitenit, l’air matois, tenait son éternelle cigarette. Les autres souriaient mécaniquement. Sur son portrait, Marina trouva son visage plus marqué encore qu’elle l’imaginait.
    La photo reproduisait le bleu de ses yeux par un gris dense, souligné par l’ombre des cernes, assombris au

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