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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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rôle d’Ophélie. Elle l’avait tant répété à Moscou, au Théâtre d’art. Et puis, la traduction de Pasternak n’était-elle pas devenue elle aussi silencieuse ?
    Après avoir repris encore et encore la première scène de l’acte III, quelque chose s’était produit. Il lui semblait que la plainte et la colère d’Ophélie résonnaient encore autour d’elle. Pourtant, pas un son n’était sorti de sa gorge.
    Un brutal claquement de mains la fit sursauter. Elle cria.
    â€” Metvei, c’est toi ?
    La silhouette se dressa. Très grande. Ce n’était pas Metvei, mais un autre homme, avec des reflets blonds dans les cheveux. Il s’avança dans l’allée centrale. Des vêtements ordinaires, une tunique de laine, un foulard rouge et ocre autour du cou. De longues mains au duvet doré qui tenaient le Birobidjaner Stern . Quand il parla, son accent rendit son russe à peine compréhensible :
    â€” Pas question de peur. Bravo. Vous êtes très bonne.
    â€” Qui êtes-vous ?
    â€” Docteur de Birobidjan. Mon nom : Michael. Américain. Michael Apron.
    Il s’était assez approché pour qu’elle distingue ses traits. Son ventre se serra. Une sensation inconnue. Une douleur entre la peur et la joie. Sans raison.
    Peut-être l’effet de ce qu’elle venait de jouer. De s’en être assez bien sortie. L’homme la dévorait de ses grands yeux clairs. Il disait :
    â€” J’ai reconnu : Shakespeare. Ophélie. Pas vrai ?
    Elle répondit bêtement :
    â€” Américain ?
    â€” Juif, aussi. Je soigne. Docteur Apron !
    Il rit comme si c’était une plaisanterie.
    â€” Je suis ici depuis…
    Il conclut sa phrase de la main, agitant le journal, l’ouvrant sur la photo prise devant le bâtiment du comité.
    â€” Il fallait vous voir en vrai. La photo trop mauvaise.

    1 Le Docteur Jivago , traduction des Éditions Gallimard.

Washington, 24 juin 1950
    147 e audience de la Commission des activités anti-américaines
    â€” Miss Goussov ! Miss, Miss !
    McCarthy levait la main.
    â€” Vous arrivez dans cette ville… Birobidjan, en janvier 1943 ?
    â€” C’est ce que je viens de dire.
    â€” Et vous rencontrez l’agent Apron presque aussitôt ?
    â€” Oui.
    â€” En êtes-vous certaine ?
    â€” Quand Michael est venu me voir au théâtre, cette première fois, c’était au moins une semaine avant qu’on apprenne la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad. Il y a eu une grande fête. On était sûrs qu’on allait gagner la guerre… C’était tout début février. Je m’en souviens très bien.
    â€” N’était-il pas inhabituel qu’un étranger, un Américain, vive ainsi au Birobidjan ? Vous venez d’expliquer que la région était « zone militaire interdite ». Vos commissaires politiques refoulaient les nouveaux immigrants. Ils se méfiaient des espions. Vous l’avez raconté en détails… Et Apron allait et venait sans se cacher, exerçait comme médecin ?
    â€” Un Américain qui parlait mal le russe ! renchérit Nixon en ricanant.
    â€” Michael ne le parlait pas mal. Il faisait semblant.
    â€” Semblant ?
    â€” Il parlait comme on pensait que devait parler un Américain. C’était sa manière de se cacher.
    Marina Andreïeva leur sourit. Il y avait longtemps que le rouge à lèvres avait disparu de sa bouche.
    â€” Comment le savez-vous ?
    â€” Il me l’a dit.
    â€” Quand ça ?
    â€” Plus tard. Quand il a décidé de m’emmener avec lui aux États-Unis parce qu’il m’aimait. Il ne voulait pas qu’on soit séparés…
    Sa voix sonna bizarrement sur ces derniers mots. Profonde, basse, avec cette vibration tendre et ténébreuse que peut avoir une corde de violoncelle. Son visage était figé, lisse. Presque heureux. Elle fixait un point bien au-delà de la salle. Durant une ou deux secondes, ce fut comme si elle s’échappait tout entière, esprit et chair, dans un temps qui nous était inaccessible.
    Je me rappelai ce qu’elle m’avait confié dans le parloir de la prison. Cela lui

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