Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
soudain
hors de la salle en gémissant des malédictions de plus en plus sonores, le long
des corridors, contre les canailles de basse pègre qui avaient osé mettre son
Jacques en pareil état. Novelli le suivit sans hâte, content de se retrouver
dans ses murs humbles, mais forts. Il aimait la bonne blancheur bosselée de
cette maison où ses pas, ses gestes, son âme s’accordaient sans effort à l’ordre
familier des détours et des meubles. Les odeurs de farine, de bois, d’herbe
sèche, de parchemin, et la lumière du petit jour qui entrait, au travers des
feuillages, par les lucarnes cintrées, lui parurent infiniment accueillantes et
maternelles. Il pensa qu’il aurait beaucoup de peine à les quitter, si Dieu
voulait un jour qu’il ne les goûte plus, et les aima, en ce nouveau matin, avec
une tendresse poignante qu’il lui sembla n’avoir jamais éprouvée.
    La plupart des moines s’en étaient allés orner la cathédrale,
avec ceux de la Daurade, et dans la cuisine tout emplie de chaleur robuste
frère Bernard était seul, accroupi devant la cheminée et soufflant sous le
trépied où crépitait une énorme flambée de sarments. L’eau, déjà, fumait dans
le chaudron. Novelli s’assit sur un tabouret et se déchaussa en maugréant comme
un vieillard contre les douleurs de ses os. Le gros moine, la figure pourpre, se
précipita pour l’aider, grognant :
    — Traînailler toute une nuit dans les misères pourries,
sans escorte, sans compagnon, sans même une bonne croix de fer à la ceinture, voilà
bien la plus effrayante folie qui soit. N’avez-vous donc aucun souci de ceux
qui vous aiment pour aller risquer la mort à provoquer les loups et les voleurs,
maigre comme vous l’êtes ? Déshabillez-vous, misérable, que je vous frotte
le dos.
    — Je suis descendu dans une taverne, frère Bernard, dit
Jacques, d’un air de confession rieuse. Hé, doucement, tu m’étrilles.
    — Une taverne ? Qu’alliez-vous y faire, grand Dieu ?
Vous ne buvez que de l’eau, vous détestez les chansons et vous haïssez les
ivrognes, je le sais bien : le moindre tonnelet de vin sous nos paillasses
vous fait cracher la foudre.
    Jacques mentit comme un batteur d’estrade, avec une faconde
de plus en plus jouissive à mesure que lui venaient les balivernes. Il conta à
frère Bernard comment, méditant dans la nuit fraîche, il avait entendu par un
soupirail des braillards médire de l’Église et de ses saintes œuvres. Il était
aussitôt descendu à la bataille, saisi par une débordante inspiration de sermon.
Il s’était mis à discourir parmi les tables. Mais ces détrousseurs hérétiques, affirma-t-il,
enflant la voix, avaient voulu lui clouer le bec en l’accablant d’insultes
énormes. Il s’était rebiffé, cognant du poing les trognes impies. Alors, des
buveurs catholiques et des ribaudes pieuses étaient venus le disputer à ces
diables si bravement, malgré leurs hoquets d’ivresse et leurs jambes mal
plantées, que son habit tiraillé avait été déchiré. S’en était suivie une
assourdissante volée de cruches, de tabourets, de tonneaux et de torches qui
avaient mis en fuite les bavards blasphémateurs. À la fin, lui, Novelli, s’était
réveillé d’un sommeil de pot fracassé sur son crâne, le cul vineux dans un
berceau de planches courbes. Les putains de l’endroit, très miséricordieuses, lui
avaient lavé la figure (il inventa leurs noms, mièvres et sucrés), et s’étaient
affairées à le réconforter avec un grand respect pour sa personne. Il n’avait
pu quitter ces malheureuses qu’aux abords de l’aube, après les avoir bénies.
    Frère Bernard écouta bouche bée les sornettes de son
compagnon, poussant parmi ses phrases juteuses de petits cris ébaubis et tenant
à deux mains devant son gros visage captivé un bol de lait bouillant qu’il
éventa du bout des lèvres, pour le refroidir, quand Novelli se tut, et lui
tendit avec des précautions de grand-mère. Jacques, enveloppé dans des
serviettes chaudes, s’en brûla délicieusement le gosier, à petits coups, en
regardant le moine. Il se sentait soudain tout remué de malice tendre. Comme il
l’aimait d’avoir si naïvement gobé ses mensonges ! Il eut envie de le
serrer dans ses bras pour le bien qu’il lui faisait. « Mentir est un grand
plaisir, se dit-il, quand celui que l’on abuse est pur, compatissant. Bernard
est ainsi : tellement pur et compatissant que me voilà content de nous
comme

Weitere Kostenlose Bücher