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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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devoirs pour me frotter à elle, dis, le croirais-tu ?
    — Vous, frère Novelli ? Non, répondit le moine à
voix presque basse et mal assurée. Vous êtes trop timide, et si sévère, si
grand ! Même au fond des tavernes, même courant les nuits comme un
malandrin, vous respirez plus haut que nous, dans les déserts de Dieu, au-dessus
des nuages.
    Il se tut un moment, parut ébranlé et se mit à rire enfin, de
plus en plus rougissant et jovial.
    — Non, décidément, je ne peux vous imaginer lutinant
des tétons de donzelle et faisant la bête dans un lit. Pourquoi donc me
posez-vous d’aussi sottes questions ? Croyez-vous que je ne vous connaisse
pas ? Vous êtes capable de subir le martyre plutôt que de succomber à un
péché agréable, pauvre de vous.
    Novelli le baisa au front et s’en alla, l’esprit un peu
lourd, mais tranquille.
    Au seuil du portail, le jour éblouissant illumina sa figure
et lui fit cligner les yeux. Il pencha la tête de côté vers l’ombre encore
humide. Une escorte de gens d’armes l’attendait là, dans la ruelle, avec une
mule sellée et couverte jusqu’aux jarrets d’un drap noir brodé d’arabesques et
de croix d’or. Un sergent bondit à terre pour lui présenter l’étrier. Sa courte
cape écarlate sentait bon le lavoir, elle avait encore sa raideur de linge
propre, et sa trogne était passée au feu du barbier. Novelli éprouva une
émotion fugitive, joyeuse, un élan d’amitié pour la gaucherie endimanchée de
cet homme.
    Il monta en selle en s’appuyant familièrement sur son épaule
et lui sourit. L’autre, faraud, rajusta ses gants et disposa ses cavaliers
autour de la monture de l’inquisiteur. La croupe des chevaux, les cuirs, les
ferrures étincelèrent un moment, de traits de pénombre en trouées de soleil, au
gré des piétinements impatients des bêtes. Jacques se sentit tout allègre parmi
ces hommes à la mine compassée, sauf deux jeunots qui riaient derrière le col
de leur cape en se contant à mi-voix des fariboles. Il fit dans l’air un signe
de croix pour ces effrontés et les autres, avec le sentiment de se bénir aussi,
lui et son humble famille boulangère, puis il vint trotter en tête de la troupe,
noblement posé et tenant haut les rênes.
    Les illusions affectueuses de frère Bernard n’avaient pas
quitté son esprit, ni le bonheur coupable des mensonges. Il avait pour un
moment tout loisir de les savourer, d’en peser la malice. Il le fit avec un
abandon voluptueux. Peu à peu, il se plut à mêler ces bontés aux souvenirs de
sa nuit désordonnée, et bientôt remuèrent ensemble, comme corps en amour, les
vérités fortes de son âme et ses inventions de parade, ses humiliations
inavouables et ses espérances de gloire, ses paroles les plus pures et ses
troubles secrets. Et se laissant emporter par cette belle houle, il lui apparut
soudain que sa vigueur de vie, qui lui poussait maintenant de petits rires dans
la gorge, n’était pas faite de ces ombres et de ces lumières douloureusement
opposées mais unies en un mariage furibond, immensément jubilant, sacré
peut-être. « Dieu et le diable baisent ensemble pour nous chauffer le sang,
se dit-il. Voilà bien la seule œuvre de vérité qu’il nous faut honorer. »
Alors, chevauchant vers les funérailles d’Arnaud Novelli, ce bienheureux fautif,
philosophe et mécréant tant connaisseur d’amour, il ne vit plus le peuple qui
se pressait le long des ruelles, aux fenêtres, au pas des portes, sur les
places ornées de bannières de deuil, ni les courses d’enfants devant le cortège,
ni les volailles envolées sous les sabots de sa mule, mais seulement Stéphanie
magnifiquement nue, impudique à pleurer de joie, glorieuse comme une Notre-Dame
dans la rumeur des cavalcades et les tocsins pareils aux battements de cœur du
soleil.
    Au carrefour de la Croix-Baragnon, il mit pied à terre dans
une grande confusion de soudards en armes, de moines accourus à sa rencontre, de
badauds de toutes sortes venus s’émerveiller de trop près aux solennités
saintes et repoussés au large à grands revers de bras. On ouvrit devant lui un
passage dans les criaillements, jusqu’aux deux rangs de soldats disposés face à
face tout au long de la vaste place Saint-Etienne. Il s’en fut au milieu du
chemin tracé par ces hommes au visage luisant sous leur lourde coiffure de
tricot ferré, mais aussi imperturbables que des figures de bois, aussi raides
que leurs piques tenues

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