Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
l’endroit où il s’était caché au pied du fanal, et le regardant face à face, oses-tu bien allumer le fanal ?
– Je vous répondrais en vous demandant de quel front vous osez vous-même m’appliquer une épithète aussi grossière, si je ne devinais la cause de votre erreur, répondit Lionel. Cette clarté qui vous cause tant d’alarmes n’est autre que celle de la lune qui se lève à l’instant même du sein de la mer.
– Ma foi, j’avais donc tort, reprit son brutal assaillant ; de par le ciel, j’aurais juré dans le premier moment que c’était le fanal !
– Il faut alors que vous ajoutiez foi aux traditions de sortilèges répandues dans le pays ; car, à moins d’être un grand nécromancien, il serait assez difficile de l’allumer de la distance ou j’en suis.
– Je n’en sais ma foi rien : c’est un peuple si étrange que celui parmi lequel nous vivons ! Il n’y a pas longtemps encore qu’ils ont trouvé moyen de nous dérober des canons jusque dans notre parc d’artillerie, chose que j’aurais jurée impossible. C’était avant votre arrivée, Monsieur, car je crois maintenant que c’est au major Lincoln, du 47 e , que j’ai l’honneur de parler.
– Vous êtes cette fois plus près de la vérité que vous ne l’étiez dans vos premières conjectures sur mes intentions, dit Lionel en souriant ; servez-vous aussi dans le 47 e ?
Le militaire lui répondit qu’il était sous-officier dans un autre régiment, mais qu’il connaissait très-bien de vue M. le major. Il ajouta qu’il avait été mis en faction sur la colline pour empêcher aucun des habitants d’allumer le fanal, ou de faire tout autre signal qui pourrait donner connaissance aux paysans des environs de l’invasion projetée.
– Cette affaire prend un aspect plus sérieux que je ne l’avais cru, reprit Lionel lorsque le jeune militaire eut fini ses excuses et son explication ; le commandant en chef doit avoir des projets que nous ne connaissons point, pour employer ainsi des officiers à des factions qui ne sont jamais faites que par de simples soldats.
– Nous autres pauvres subalternes, nous ne savons que peu de choses, et nous ne nous inquiétons guère de ses projets, dit l’enseigne. J’avouerai cependant que je ne vois pas pourquoi des troupes anglaises feraient tant de façons pour marcher contre une poignée de paysans balourds, qui s’enfuiraient à la seule vue de nos uniformes, si, au lieu de les attaquer au milieu des ténèbres, nous allions droit à eux en plein jour. Si j’étais le maître, je voudrais que ce fanal qui est au-dessus de nous répandit une telle clarté, que tous les héros du Connecticut accourussent ici au secours de leurs compatriotes ; les pauvres diables baisseraient bien vite l’oreille devant deux de nos compagnies de grenadiers.
– Mais écoutez, Monsieur…, ce sont eux, ce sont nos grenadiers qui s’avancent ; je les reconnais à leur marche pesante et mesurée.
Lionel prêta une oreille attentive, et entendit distinctement le pas uniforme d’un corps de troupes régulières qui traversait la plaine, comme s’il se dirigeait vers le bord de l’eau. Il fit précipitamment ses adieux à son compagnon, descendit rapidement le penchant de la colline, et, suivant la direction du bruit, il arriva sur la rive en même temps que les troupes.
Deux masses compactes de soldats étaient arrêtées à quelque distance l’une de l’autre, et, en passant devant les colonnes, Lionel jugea facilement que les troupes qu’il voyait rassemblées devaient monter à près de mille hommes. Un groupe d’officiers était réuni sur la côte : il s’en approcha, pensant avec raison qu’ils entouraient le chef de l’expédition. C’était le lieutenant-colonel du 10 e , qui était en grande conversation avec le vieux vétéran de marine dont avait parlé la sentinelle placée devant l’hôtel-de-ville de la province. Lionel aborda le premier, et lui demanda la permission d’accompagner le détachement en qualité de volontaire. Après quelques mots d’explication, sa requête lui fut accordée, sans que ni l’un ni l’autre eussent fait la moindre allusion aux motifs secrets de l’expédition.
Lionel fut rejoint alors par son valet de chambre, qui avait suivi les troupes avec les chevaux de son maître. Après lui avoir donné ses ordres, il se mit à chercher son ami Polwarth, qu’il découvrit bientôt, placé, dans toute la raideur de
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