Liquidez Paris !
un fossé et ils passent si près de moi que je peux sentir l’odeur de leurs "cuirs tout neufs. S’ils me prennent, je sais ce qui m’attend, c’est la balle dans la nuque.
Après quelques mètres d’une épuisante reptation, me voilà de retour près du Churchill. Entre-temps, l’un des Anglais est mort, l’autre me regarde. J’ai peur. Que me veut-il ? Je sors mon couteau. A-t-il la force de tirer sur moi ?
– A boire, gémit-il.
Un mince filet de sang coule sur son menton. Je lui tends la main sans songer que je tiens mon couteau et il a un recul terrifié. Je jette mon couteau, j’essuie le sang de sa bouche et lui montre un paquet de pansement pour bien signifier que je désire l’aider. Je coupe son uniforme. Vilaine blessure : éclat d’obus ou de grenade, en tout cas, il ne sera plus jamais un homme. Mon paquet de-pansement ne suffit pas, alors j’ôte ma chemise et la déchiré en petites bandes.
– Water ! supplie-t-il encore.
Alors je lui soulève la tête et je lui mets ma gourde aux lèvres. 11 ne devrait pas boire ; un blessé du ventre ne doit jamais boire, tout soldat sait ça, mais il est mourant, alors pourquoi le laisser souffrir ? J’ai encore une demi-boîte de chocolats, du chocolat narcotique. et lui en glisse quelques morceaux dans la bouche. Il sourit. Qui va là ? C’est une section d’Anglais… Je pose ma main sur la bouche du blesse ; s’il crie, je suis foutu. Et puis, dès qu’ils sont passés, je lui demande pardon. Il hoche ta tête, il a très bien compris. Un flot de sang lui sort par le nez.
– Ambulance gémit-il.
Je lui donne encore a boire et il me fait signe de prendre son livret matricule : caporal Brown, docker, marie, trois enfants, vingt-six ans. J’ai peur, mais je lui caresse la joue.
– Ça ira, camarade, attends.
Je dépose ma gourde près de lui ainsi que le reste des chocolats. Il faut que j’aille chercher ma mitrailleuse, comprends-tu ? Je l’ai perdue. Une mitrailleuse, c’est plus précieux qu’un soldat. Je lui fourre un étui de masque à gaz sous la tête et fiche un fusil en terre avec un casque planté sur la crosse, ça aidera les infirmiers à le trouver. Dans le livret matricule, il y a une photo de sa femme et de ses enfants que je lui mets dans la main. Comme ça, il ne sera pas seul pour mourir.
Un hurlement strident… Trois Jabos passent en rase-mottes. Aussitôt -qu’ils ont disparu, j’escalade le talus au bas duquel j’avais roulé et je trouve la M. G. dans les ruines, mais au moment où je me penche pour ramasser l’arme, deux Anglais me sautent dessus. On m’a appris ça à l’entraînement du corps à corps : je me mets en boule, donne un coup de pied dans l’entrejambe de l’un, et du tranchant de la main un coup sur la gorge de l’autre. Par bonheur, ce ne sont pas des vétérans, mais de la bleusaille ! La mitrailleuse sur l’épaule, je me débine, j’arrive près du char… James Brown est mort ; dans sa main la photo, les chocolats à côté de lui. Une salve siffle à mes oreilles et les projectiles ricochent sur le blindage de l’engin. Je vois des Anglais conduits par un grand sergent descendre le talus au pas de course…
– Kill the damned Krant !
Vivement, je déplie le support de la mitrailleuse, j’arrive à dérouler la bande de balles, je charge, je tire… le sergent tombe, dégringole la pente comme je l’avais fait moi-même et son corps vient buter contre le char. Les autres s’arrêtent et disparaissent. Moi, plié en deux, je cours vers le fossé, patauge de nouveau dans l’eau en sanglotant de terreur… Les balles sifflent autour de moi, l’une d’elles déchire une de mes bottes, mais je me jette derrière une borne kilométrique où j’installe la mitrailleuse. S’ils me prennent, ils me tuent et je n’ai plus guère de munitions : deux bandes dans ma poche, trois grenades ; avec mes dents, je dévisse la capsule de l’une d’elles.
– Venez Satans !
C’est un cri de dément que je pousse en jetant la grenade. Un Anglais s’en saisit mais avant de me l’avoir renvoyée, elle éclate entre ses mains et lui arrache un bras. Je l’entends hurler en tournant sur lui-même. Une autre grenade… Mal lancée, elle roule vers un homme et explose. J’ai descendu trois Anglais, les autres ont pris la fuite.
Je cours, j’arrive au tournant du chemin… et m’arrête pétrifié ! Des yeux fous de peur me regardent, une main tient une
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