L'Ombre du Prince
devant
le dieu Thot et lui dédia un hymne qu’elle prononça à voix basse.
— Pardonne-moi, Grand Maître, si je suis
tant en retard.
— Ce n’est guère ton habitude, Méryet,
que t’est-il arrivé ?
La jeune danseuse rougit et parut embarrassée.
Séchât regretta sa question, mais comment
pouvait-elle aux yeux des autres élèves afficher une différence pour sa
protégée ?
Voyant que Méryet semblait de plus en plus
gênée, elle vint à son secours.
— Allons, la prochaine fois, j’écouterai
ton excuse et tu seras punie. Va te joindre à tes compagnes et reste attentive.
Comme pour clore l’incident, ce fut l’instant
que choisit le singe de Djéhouty pour jeter un cri qui n’avait rien de très
discret. À force de gesticuler, il avait fini par s’enrouler la laisse autour
du cou et, tapage à l’appui, réclamait l’aide de son jeune maître pour le
sortir de son étourderie.
La classe se mit à rire et l’étrange retard de
Méryet fut ainsi complètement occulté.
Freinant le rire des enfants, Séchât se
dirigea vers les petits. Elle redressa la tête de Seneb qui venait de s’assoupir,
le nez écrasé sur sa tablette. Quand elle lui releva le visage, l’enfant avait
de l’encre noire sur sa joue gauche et de l’ocre rouge sur les narines, ce qui
souleva un nouveau rire général.
Frappant dans ses mains, Séchât imposa le
silence. Puis, passant derrière les petits, elle complimenta ceux qui avaient
formé de beaux hiéroglyphes, reprocha la paresse de ceux qui n’avaient rien
fait et l’étourderie de ceux qui s’étaient trompés.
— Satiah, fit-elle tout à coup en
pointant l’index vers sa fille, peux-tu me réciter l’hymne du Nil ?
Pourquoi avait-elle soudain l’envie de complimenter
sa fille ? Elle savait que Satiah le connaissait parfaitement. Souriante,
l’adolescente ne se fit pas prier et, d’une voix claire, commença :
« Nous te saluons, oh ! Hapy,
notre fleuve.
Nil fertile, issu de notre terre.
Nil fertile, auteur de tous les dons.
Nous te saluons, oh ! Rénovateur.
Porteur de toute essence, puissance de
toute sève.
Toi, la Connaissance. Toi, qui régénères.
Fleuve de vie, nul être ne t’ignore.
Oh ! Roi et Loi de ce que tu animes et
engendres.
Par toi, il se nourrit et se transforme.
Il respire, enfante, arrive à son parfait
accomplissement.
Par toi, enfin, il vit et revit sans cesse. »
Satiah avait une belle voix, chaude et
distincte. Un timbre clair qui s’envolait et retombait en laissant d’agréables
sons aux oreilles attentives qui l’écoutaient. Séchât avait vu juste. Sa fille
vibrait pour la diction, les grands discours, les envolées lyriques. Voilà au
moins un point sur lequel elles avaient quelques affinités.
Si, maintes fois, l’ex-intendante avait frémi
de joie dans les assemblées pour faire entendre sa voix, sa fille pouvait
peut-être se servir de la sienne dans un domaine qui lui plaisait.
Séchât voyait sans doute juste car, sans
attendre qu’elle le lui propose et prenant conscience du silence de la salle
qui l’écoutait avec intérêt, l’adolescente poursuivit sur l’hymne d’Hapy qui
consacrait le Nil.
— Parfait, Satiah ! fit Séchât
lorsque la fillette eut enfin terminé. À t’entendre si bien réciter, une idée
me vient à l’esprit. Voulez-vous que je vous la dise ?
Les enfants exultaient.
— Qui aimerait jouer une pièce de théâtre ?
— Comme celles que jouent les artistes de
Memphis ?
— Les artistes de Memphis sont essentiellement
des acrobates. Mais, certains sont aussi de vrais acteurs, jouant des pièces
sur scène, parlant, devisant, discutant, s’exprimant. Qui est intéressé ?
Satiah leva la main avec enthousiasme, suivie
aussitôt de celle de Méryet.
— Allons, fit Séchât, il me faut aussi
deux ou trois garçons.
Amtou leva la main tout en observant le visage
de ses compagnons.
— Est-ce tout ? fit Séchât en
esquissant une grimace insatisfaite. Nous ne pourrons pas monter une pièce de
théâtre à trois.
Deux autres mains se levèrent, celles de
Knosis et de Sennet, deux frères. Les fils du Grand Conducteur des Processions
Sacrées étaient, certes, habitués à entendre réciter les hymnes consacrées aux
dieux et au peuple.
— Parfait ! Mérytrê, n’es-tu pas
tentée ?
La princesse fit la moue. Séchât n’insista pas.
— Baki ! Ne l’es-tu pas ?
— Je veux bien, si Amennheb accepte.
Mais ce fut
Weitere Kostenlose Bücher