L'Ombre du Prince
questionnât. Djéhouty n’avait regardé ni
Séchât ni Neb-Amon, il s’était penché sur son fils et l’avait observé longuement.
Séchât reconnut le bon sens et la pondération
du Vizir, son inquiétude se cachait derrière cet air tranquille et sûr. Il
passa sa grande main brune sur le visage de l’enfant qui s’était endormi.
— Qu’a-t-il exactement en plus de sa
jambe cassée ?
— Je ne sais pas encore. Il faut que je l’examine
de plus près.
— Puis-je l’emmener ?
— Non ! Il est intransportable.
Peut-être a-t-il un traumatisme crânien. Dans ce cas, tout déplacement pourrait
être fatal.
Djéhouty se releva et, enfin, regarda ses vis-à-vis.
— Je te remercie, Grand Neb-Amon. Tu as
sans doute sauvé mon fils.
— Pas encore, murmura le médecin.
Djéhouty eut un hochement de tête imprécis.
Puis, il passa l’une de ses mains dans ses
cheveux noirs crépus et parut s’absorber dans une méditation que nul ne vint
déranger.
— Où était mon fils ? dit-il enfin d’une
voix caverneuse.
— Je ne l’ai pas questionné, fit Séchât.
Mais, Neb-Amon l’a trouvé près de la petite porte du dernier pylône, là où
personne ne passe jamais.
— Qu’y faisait-il ?
Séchât haussa l’épaule et fixa le regard de Djéhouty.
Puis, elle se tourna vers Neb-Amon qui vérifiait l’attache de son attelle.
— Ton fils, Djéhouty, précisa-t-elle sans
le regarder, est un enfant trop émotif et trop faible. Il se laisse très vite
influencer.
— Il ressemble à sa mère dont la grande
modestie a toujours effacé les nombreuses capacités qui étaient en elle.
Dis-moi, Séchât, me caches-tu quelque chose ?
— Oui. Mais aujourd’hui, je ne veux rien
dissimuler et, puisque le destin nous réunit, je vais tout t’avouer. Ton fils
est trop malléable. L’an dernier, il a laissé le vieil Antef entrer dans ma
classe pour y voler un document.
— Pourquoi me l’as-tu caché ?
— Parce que ton fils paraissait
malheureux d’avoir été l’appât d’un odieux personnage. Je crains qu’il soit
retombé dans un piège plus resserré encore.
— L’attelle est posée, fit Neb-Amon en se
relevant. Nous le questionnerons dès qu’il sera réveillé. En attendant, Grand
Djéhouty, viens prendre une collation, cela te sera bénéfique.
Si, à l’arrivée du Vizir, Séchât avait craint
quelques battements flous de son cœur, elle se sentait à présent très à l’aise.
Rien d’équivoque ne transparaissait dans leurs attitudes. Aucun regard, aucun
geste ambigu ne flottait dans l’air. Jusqu’à Neb-Amon qui semblait plus
détendu, maintenant que l’attelle était posée.
Cachou, Maâthor et deux autres servantes s’empressèrent
de préparer le repas.
— Avant de prendre cette collation, dit
Séchât en se piquant droit devant Djéhouty, j’aimerais te poser une question.
— Laquelle ?
— Désormais, es-tu pour ou contre Hatchepsout ?
Surpris, le médecin regarda sa femme. Certes,
il ne s’attendait guère à une telle interrogation qui risquait de tendre
dangereusement l’atmosphère.
— Ta réponse, Grand Djéhouty, fit-il avec
réserve, n’influencera pas mon souci de guérir ton fils.
Mais, la question avait déstabilisé le Vizir
qui, à présent, se sentait gêné.
— En quoi ma réponse peut te concerner ?
interrogea-t-il en se tournant vers Séchât.
— Je compte les fidèles qui, désormais,
restent près d’Hatchepsout. Cela t’étonne-t-il ?
Il ne riposta rien mais elle remarqua son œil
hostile glisser vers elle. Elle reprit d’un ton serein :
— Ta réponse peut m’aider pour comprendre
ton fils. N’oublie pas, Djéhouty, qu’il fréquente ma classe et qu’en plus son
comportement peut en influencer d’autres. Et, si tu veux mon point de vue, cet
enfant est beaucoup trop jeune pour être mêlé à une histoire d’espionnage
politique. Ton fils est faible. Alors, il essaye de se forger une carapace en
suivant n’importe quel individu qui lui fait miroiter un soi-disant sens du
devoir et de l’honneur. Djéhouty reprit-elle, je sais que tu as servi
loyalement le père et l’époux d’Hatchepsout. La pharaonne elle-même a bénéficié
de tes généreux services. Mais, en profite-t-elle encore ? Beaucoup d’entre
vous se tournent vers le jeune Thoutmosis. Fais-tu partie de ceux-là ?
Le Vizir eut un léger plissement de paupières.
— J’en ferai partie lorsqu’il sera
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