L'or de Poséidon
Je déteste les gens qui compliquent tout inutilement. Et la perspective de passer plusieurs jours avec lui n’était pas faite pour me réjouir. Le regarder ingurgiter un seul déjeuner m’ennuyait déjà suffisamment.
Je regardai autour de moi. L’endroit était aussi lugubre que dans mon souvenir. Gaius Bæbius se concentrait sur son bol de bœuf et de légumes avec la sérénité d’une âme simple. Peut-être ma vue était-elle meilleure que la sienne ? En tout cas, les coins sombres et la clientèle sinistre me mettaient mal à l’aise.
Nous nous trouvions dans une cave humide, creusée dans le mont Cælius. Un vrai terrier insalubre. Sous un plafond voûté dégoûtant, quelques tables en mauvais état étaient chichement éclairées par des mèches fichées dans de vieux pichets emplis d’huile. Le gargotier boitait bas et avait une joue balafrée – sans doute le résultat d’une bagarre dans son bar. Son vin était épouvantable, et ses clients bien pires.
Depuis ma dernière visite, un des murs au plâtre rugueux avait été décoré d’une nouvelle fresque pornographique peinte grossièrement. Elle mettait en scène plusieurs hommes incroyablement favorisés par la nature et une femme timide qui, après avoir perdu tous ses vêtements, était en train d’acquérir une expérience utile.
Je fis signe au patron d’approcher.
— Qui t’a peint ce chef-d’œuvre ?
— Varga, Manilus et leur clique.
— Ils fréquentent toujours ton établissement ?
— De temps en temps.
Ça ne faisait pas mon affaire ! Je n’avais pas l’intention de traîner dans un endroit pareil jusqu’à ce que ces soi-disant artistes daignent faire leur apparition.
— Tu sais où je peux les trouver ?
Il me fit quelques suggestions.
— Alors que penses-tu de nos fresques.
— Fabuleuses ! mentis-je.
En nous entendant parler des fresques, Gaius Bæbius y avait porté son regard. Et ne pouvait plus l’en détacher. J’en étais gêné. J’imaginais la tête de ma sœur en le voyant étudier aussi attentivement ces scènes de bordel. Junia ne m’aurait jamais pardonné de l’abandonner en un tel lieu de perdition. Je pris donc mon mal en patience et attendis qu’il termine son déjeuner.
— Très intéressant ! commenta-t-il quand nous pûmes enfin partir.
Une fois dehors, je me débarrassai de mon inepte beau-frère le plus vite possible et me mis en quête des barbouilleurs en suivant les suggestions du marchand de piquette. Sans succès ! L’un des endroits que l’homme m’avait indiqués était une chambre louée dans une petite pension. Je me proposais d’y retourner plus tard ; j’aurais peut-être plus de chance. Pour l’instant, je mourais de faim. Je décidai donc d’aller sur l’Aventin, dans un endroit salubre si on le comparait à La Vierge : la caupona de Flora.
33
Chez Flora, je trouvai des décorateurs en train de s’activer au milieu d’une immense pagaille.
Chassé de sa cuisine, l’unique employé se tenait à l’extérieur. Il servait à boire et des en-cas froids aux gens qui acceptaient de s’installer dans la rue.
— Qu’est-ce que ça veut dire, Epimandos ?
— Falco ! (Il m’accueillit avec chaleur.) J’avais entendu dire qu’on t’avait arrêté !
Je laissai échapper un grognement du fond de ma gorge.
— En tout cas je suis ici. Il se passe quoi ?
— Après le problème qui est arrivé là-haut, on repeint toute la caupona.
Chez Flora existait depuis une bonne dizaine d’années, et n’avait pas reçu un seul coup de pinceau depuis. Évidemment, quand un meurtre se produit quelque part, c’est bon pour le commerce.
— Qui a décidé ça ? Pas la légendaire Flora, si ?
Epimandos adopta son air vague habituel et ignora ma question. Il préféra bafouiller :
— Je me suis tellement inquiété à ton sujet.
— Moi aussi !
— Alors ça s’est arrangé, Falco ?
— Pas vraiment. Il faudrait d’abord que j’attrape le salopard qui a tué Censorinus.
— Falco…
— Remets-toi, Epimandos. Un serveur qui se lamente, c’est mauvais pour le commerce.
Je cherchai un siège. Dehors, ils étaient en nombre limité. Le chat si peu amical, Gringalet, étant étendu de tout son long sur un banc, je dus me résoudre à me percher sur un tabouret placé près du tonneau du mendiant. Pour une fois, il me parut obligatoire de le saluer.
— Bonjour, Marcus Didius.
Je cherchais toujours une façon polie
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