Louis Napoléon le Grand
aristocraties indigènes.
Dans des lettres restées fameuses — véritables programmes d'action — qu'il adressa successivement à Pélissier et à Mac-Mahon et qu'il rendit publiques, il développa des conceptions qui annoncent l'« Algérie algérienne ». Et d'abord en 1863: « [...] L'Algérie n'est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe. Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l'Empereur des Arabes que l'Empereur des Français. »
En 1865, il précisa sa pensée: « Ce pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp français [...]. Cette nation guerrière, intelligente, mérite notre sollicitude. [...] Lorsque notre manière de régir un peuple vaincu sera, pour les quinze millions d'Arabes répandus dans les autres pays de l'Afrique et de l'Asie, un objet d'envie [...] ce jour-là la gloire de la France retentira depuis Tunis jusqu'à l'Euphrate et assurera à notre pays cette prépondérance qui ne peut exciter la jalousie de personne [...]. En résumé, je voudrais utiliser la bravoure des Arabes plutôt que de pressurer leur pauvreté. »
C'est dire que, pour Louis Napoléon, les Arabes étaient les égaux des Français ; ils devaient pouvoir occuper les plus hauts emplois, tout en demeurant régis par la loi coranique. Le rêve d'associer les deux populations sur un pied d'égalité ne le quitta jamais. Il se rendit lui-même à deux reprises en Algérie et, chaque fois, multiplia les gestes pour confirmer sa façon de voir. En 1860, Eugénie accepta de répondre à l'invitation qui lui avait été adressée d'assister à un mariage musulman; l'initiative fit grandbruit. Lors du deuxième séjour, en 1865, Louis Napoléon reçut les notables arabes à sa table, invitation qui, à quelque temps de distance, s'ajoutait à la participation de plusieurs chefs algériens aux chasses de Compiègne et à d'autres festivités.
Cette façon de voir et de faire ne lui valut pas que des applaudissements dans la communauté française d'Algérie, qui lui reprocha d'être par trop favorable aux Arabes... et de ne rien comprendre à ses problèmes. Il est vrai que les sujets de contentieux ne manquaient pas: Louis Napoléon avait libéré Abd el-Kader ; il avait arbitré en faveur des autochtones certains conflits entre des colons et des tribus qui n'acceptaient pas la limitation de leurs terrains de parcours. En fait, partisan du développement économique, il n'entendait pas qu'on fasse de celui-ci le moyen ou l'alibi d'une exploitation systématique des indigènes par les Européens.
Tout à fait sceptique quant à la capacité d'un régime civil à gérer les choses de façon équilibrée, Louis Napoléon se résolut — sauf pour une brève interruption — à placer l'Algérie sous direction militaire, au grand dam des Français de là-bas. En tout cas, ceux-ci - qui étaient plus de deux cent mille en 1870 — exprimèrent sans ménagement une hostilité permanente à l'Empire, et furent parmi les premiers à se réjouir bruyamment de sa chute. Dès que fut connue la défaite de Sedan, on mit à bas avec beaucoup d'entrain les statues de cet empereur qui se voulait, aussi, et peut-être d'abord, celui des Arabes.
Attitude sans doute explicable, mais profondément injuste. Car, au-delà d'analyses et de choix politiques qui lui font honneur, Louis Napoléon fit beaucoup, fit énormément pour l'Algérie, espérant probablement dépasser les antagonismes par le remède miracle du développement économique.
Mais, avant cela, il eut un premier mérite : celui de compléter la conquête de l'Algérie et d'y créer les conditions de la paix. Comme l'écrit Alain Decaux, « on oublie trop que Louis-Philippe avait laissé une Algérie insurgée, dangereuse, que l'Empire pacifia ». De fait, de longues et difficiles opérations furent nécessaires pour achever enfin, en 1857, la conquête de la Kabylie et pour développer l'occupation française vers le Sud, prélude à la conquête ultérieure du Sahara... Au total, ce sont des territoires plus vastes que ceux conquis sous Louis-Philippe qui passèrent sous le contrôle de la France.
Puis, un peu moins de cent ans avant le plan de Constantine, Louis Napoléon lança un vaste programme de travaux publics, qui devait jeter les fondements d'un développement rapide. Le voyage de 1865 fut particulièrement important. Louis Napoléon y tint des propos on ne peut plus clairs;
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