Louis Napoléon le Grand
avantage. »
Il est vrai que cette guerre, si elle survenait, aurait pour premier effet de débloquer une situation européenne qui depuis quelques années ne paraissait plus susceptible d'évolution. Louis Napoléon avait bien l'intention de tirer tout le parti possible de la déstabilisation qui ne pouvait manquer de s'ensuivre. En recherchant, éventuellement, sur une carte de l'Europe redevenue mouvante, quelques gains territoriaux.
De plus, on ne doit pas l'oublier, le problème de la Vénétie occupe une place de choix dans l'esprit de Louis Napoléon. La Vénétie, à l'époque, est encore et toujours autrichienne. Il l'a pourtant promise à Cavour et aux Italiens lors de l'entretien de Plombières, et veut tenir sa promesse. Parjure une fois, le jour du coup d'État, il entend bien, devant l'Histoire, ne pas l'être une deuxième fois. Or, s'il n'a pu parvenir à ses fins en 1859, c'est parce que la Prusse menaçait, après Solferino, de faire cause commune avec l'Autriche. Désormais leur front est en passe de se rompre: il y a là, pense-t-il, une occasion qu'il n'a pas le droit de ne pas saisir. Ce sera la meilleure des occasions de revivifier ce principe des nationalités qu'il considère plus que jamais comme d'actualité. La polémique qui, au printemps de 1866, l'opposera à Thiers en donne ultérieurement une preuve manifeste.
A l'occasion du vote annuel du contingent militaire, Thiers va, en effet, prononcer le 3 mai de cette année un grand discours de politique étrangère. Défendant les traités de 1815, il estime qu'il convient de s'opposer aux desseins prussiens et d'abandonner l'Italie à son sort, et fait reproche à l'empereur de parrainer une alliance italo-prussienne.
Son discours produira, comme on dit, une forte impression, notamment lorsqu'il prophétise : « Et alors, permettez-moi de vous le dire, s'accomplira un grand phénomène vers lequel on tend depuis plus d'un siècle : on verra refaire un nouvel Empire germanique, cet Empire de Charles Quint, qui résidait autrefois à Vienne, qui résiderait maintenant à Berlin, qui serait bien près denotre frontière, qui la presserait, la serrerait; et pour compléter l'analogie, cet Empire au lieu de s'appuyer, comme au seizième siècle sur l'Espagne, s'appuierait sur l'Italie.
« Non, ajoute-t-il, ce n'est pas une vieille politique, c'est une politique éternelle qui conseille de ne pas créer autour de soi de grandes puissances... »
Il lance cet avertissement: « Allez, allez partout en France, allez dans les petites villes et les villages et vous verrez si cette politique qui tendrait à rétablir l'ancien Empire germanique en plaçant le pouvoir de Charles Quint dans le Nord au lieu du Sud de l'Allemagne, si ce pouvoir, aidé par l'Italie, serait populaire en France. »
Louis Napoléon ne peut laisser un tel discours sans réponse. Il va y répliquer sur-le-champ. Trois jours plus tard, à Auxerre, il félicite les habitants de l'Yonne de détester autant que lui les traités de 1815 dont d'autres, rappelle-t-il, voudraient faire la base de notre politique étrangère. Il se déclare heureux d'être ainsi venu à la rencontre des travailleurs des villes et des champs, chez qui il redécouvre le vrai génie de la France.
Son discours sera mal accueilli: la majorité de l'opinion voulait la paix et n'aimait pas la Prusse...
***
Pour l'heure, Louis Napoléon s'interroge sur la meilleure manière de tirer avantage des événements qui se préparent.
Il laisse venir Bismarck à sa rencontre — un Bismarck qui, pour la circonstance, paraît assez mal à l'aise dans sa position de demandeur. Rien, en effet, ne peut être entrepris par lui contre l'Autriche sans la neutralité française. Il lui faut s'assurer de celle-ci.
En octobre 1865, les deux hommes vont s'en entretenir en tête à tête. La Cour est à Biarritz pour profiter d'un automne enchanteur et permettre à l'empereur de trouver un peu de repos après la cure éprouvante de Vichy. On y invite le président du Conseil prussien au vu et au su de tous. Rien à voir avec le secret et les précautions d'il y a sept ans, à Plombières.
Bismarck n'est certes pas un inconnu en France. Il y a été ambassadeur et a su séduire malgré ses manières parfois un peu brutales. Ce passionné, cet impulsif, sait aussi se contrôler et se montrer le plus charmant et le plus accommodant des compagnons.
A Biarritz, entre les deux interlocuteurs, le contraste est criant, et
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