Louis Napoléon le Grand
l'abandon de la Vénétie. De ce côté-là, les choses sont claires: quoi qu'il arrive, il aura apporté la Vénétie aux Italiens ; certes, l'alliance italo-prussienne ne vaut que pour trois mois. Même dans cette hypothèse, le résultat est atteint: le retour de l'Italie à la neutralité ne la priverait pas des territoires de Venise.
Dès lors, semble-t-il, Louis Napoléon est en droit d'attendre avec sérénité les événements. Il peut se cantonner dans une neutralité attentive, laisser se développer le conflit et, à l'instantqu'il jugera le plus propice, imposer sa médiation. Alors, un choix lui sera offert, s'agissant de gains territoriaux: une partie de la Rhénanie, le Luxembourg, la Belgique peut-être. Et il sera en mesure d'imposer une réorganisation de l'Allemagne en trois tronçons, dont la taille variera en fonction de ce qui se sera passé sur le terrain militaire: la Prusse dominera, grosso modo, les États du nord du Main, l'Autriche ceux du sud, et l'on prévoira entre les deux un État tampon.
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Dans toute cette affaire, on a beaucoup critiqué le machiavélisme de l'empereur, le caractère sournois de ses manoeuvres, et son double jeu. On a prétendu qu'il s'était « pris les pieds dans le tapis » qu'il avait lui-même tissé. Il s'agit là d'un de ces jugements a posteriori qui n'honorent pas toujours leurs auteurs.
En réalité tout l'échafaudage reposait sur cette poutre maîtresse: le conflit devait être long et indécis.
Comment en vouloir à Louis Napoléon de l'avoir cru quand c'était l'opinion générale? Maintenant encore, on peut se perdre en conjectures devant le spectacle d'une armée autrichienne, si brillante face aux Italiens qu'elle a écrasés sur terre à Custozza, le 24 juin, et sur mer, peu après, à Lissa, et qui s'avère incapable, malgré le concours de la Bavière, du Hanovre et de la Saxe, de contenir la poussée prussienne. Il est vrai que le meilleur des militaires autrichiens se trouve sur le front italien et que, face au formidable instrument guerrier conçu par Moltke, les forces opposées aux Prussiens et leur commandement laissent beaucoup à désirer. Si l'on ajoute à cela que le fusil prussien tire cinq coups pendant que l'autrichien n'en tire qu'un, l'événement paraît plus aisément explicable.
Quoi qu'il en soit, c'est la surprise générale, quand, le 3 juillet 1866, les Autrichiens sont sévèrement battus à Sadowa. Le généralissime autrichien Benedek avait reçu l'ordre de Vienne d'engager une bataille défensive entre l'Elbe et la Bistriz; son armée de deux cent vingt mille hommes a été coupée en deux par les Prussiens, et quarante mille soldats ont trouvé la mort.
La nouvelle produit dans toute l'Europe l'effet d'un coup de tonnerre, encore que les conséquences n'en sont pas aussitôt mesurées: on va même trouver des Français pavoisant leurs fenêtres pour fêter une si belle victoire du principe des nationalités.
Louis Napoléon, même s'il n'en laisse rien paraître, a tout de suite conscience de la gravité de l'événement et de ce qu'il représente comme danger pour la France. La situation créée n'a strictement rien à voir avec celle qu'il pouvait raisonnablement escompter.
En 1906, quarante ans après Sadowa, Eugénie aurait ainsi confié à Maurice Paléologue le souvenir qu'elle conservait d'un si pénible moment: « C'est dans ce mois de juillet que s'est fixé notre destin. Oui, l'Empereur a reconnu devant moi son erreur, mais il n'était plus temps de la réparer. Un soir, surtout, je me promenais seule avec lui dans une allée de Saint-Cloud. Il était complètement désemparé; je ne pouvais lui arracher un seul mot; ne trouvant plus rien à lui dire, je sanglotais. »
Pourtant, au premier abord, tout ne paraît pas trop mal tourner... L'un des scénarios initialement imaginés commence à se dérouler comme prévu. Dès le 4 juillet, l'Autriche fait appel à la médiation de la France. Il a dû en coûter beaucoup à François-Joseph de s'avouer ainsi vaincu, lui qui tient le roi de Prusse en si piètre estime. Comme l'a noté Charles de Gaulle, pour « l'empereur humilié en 1866, l'Allemagne prussienne apparaissait, comme au seigneur d'un château croulant, le palais neuf de son régisseur malhonnêtement enrichi ».
Le problème tient évidemment au fait que la médiation française se présente dans des conditions beaucoup moins favorables que celles qui avaient été imaginées. La Prusse
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