Louis Napoléon le Grand
dans un intérêt dynastique à la Défense Nationale. »
Soumission à la fatalité ? Volonté de ne rien faire qui soit attentatoire à son honneur ou aux intérêts de la France ? Toujours est-il qu'il se confiera en ces termes à l'impératrice : « Je t'avoue que je me laisse aller aux événements sans faire de voeux bien ardents pour qu'ils tournent à notre profit. »
Ce ne sont pourtant pas les tentatives qui vont manquer.Bismarck lui envoie un émissaire, Helwitz, bruyant, bavard, qui se répand en indiscrétions. Louis Napoléon ne juge pas utile de poursuivre. Sans doute, cette fois-ci, n'est-il pas dupe de Bismarck qui a tout intérêt à brouiller les cartes, pour tirer parti de la confusion. Il commence à connaître ce genre de manoeuvre, et très lucidement il met en garde les plus empressés :
« On prétend que les conditions que le Roi de Prusse nous ferait seraient meilleures que celles qu'il imposerait à la République, mais pour que cela fût évident pour tout le monde, il faudrait qu'il eût d'abord formulé ses prétentions vis-à-vis du Gouvernement de la Défense Nationale, et tant qu'il ne l'aura pas fait de manière ostensible, les Républicains diront toujours que leur programme était de ne céder ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. »
Aussi ne donnera-t-il pas suite au projet conçu dans des conditions assez légères, mais en liaison avec les Prussiens, par un certain Régnier. Celui-ci se proposait de convaincre les commandants des places de Strasbourg et Metz de déposer les armes au nom de l'empereur, pendant que l'impératrice, s'appuyant sur les forces ainsi rendues disponibles, aurait repris le pouvoir et signé le traité de paix. La capitulation de Metz, le 29 octobre, rendit d'ailleurs vaines ces spéculations. Les espoirs fondés sur Bazaine et son armée étaient désormais définitivement évanouis.
Pourtant, on continuait à penser au moyen d'élire une nouvelle Assemblée, voire de réunir les conseils généraux en Assemblée nationale. Il fallut même que Louis Napoléon intervienne, quelques semaines plus tard, pour persuader Eugénie de renoncer au projet qu'elle avait formé de se rendre en France pour y tester la popularité du régime déchu : « Après le rôle que nous avons joué en Europe, lui écrivait-il le 2 décembre, toutes nos actions doivent avoir un caractère de dignité et de grandeur en rapport avec la situation que nous avons occupée; nous ne pouvons donc pas risquer de ces dangers qui prêtent au ridicule comme d'être arrêtés par quatre gendarmes. Or, dans l'état actuel des choses, si tu allais en France, ce serait le premier risque que tu courrais. »
Entre-temps, les deux époux s'étaient brièvement retrouvés, Eugénie ayant séjourné à Wilhelmshôhe du 30 octobre au 1 er novembre. Ces retrouvailles avaient sans doute été quelque peu éprouvantes ; Louis Napoléon et Eugénie se revoyaient pour la première fois depuis le départ de Saint-Cloud et ce face à facepermettait à chacun de mesurer dans le regard de l'autre l'étendue de leur drame et de leur déchéance. Les liens entre les époux en sortirent encore renforcés. Le ton des lettres qu'ils échangeaient en fut profondément modifié. Le 19 décembre, Eugénie s'exprimait ainsi en des termes qu'elle n'avait plus employés depuis longtemps :
« Ma tendresse et mon affection ne font qu'augmenter pour toi. Je voudrais, au prix de bien des sacrifices, te rendre la vie plus douce que les circonstances ne l'ont faite jusqu'à présent, mais plus tout se rembrunit et plus nous devons croire que tout a une fin, les bons comme les mauvais jours. Je t'aime tendrement. A toi pour toujours. »
Ensemble, ils avaient eu le temps de former quelques projets d'avenir. Leur choix d'un lieu d'exil se porta finalement sur l'Angleterre après qu'ils eurent songé à Trieste puis à Arenenberg — solution dont ils pensèrent, à tort ou à raison, qu'elle n'aurait pas l'agrément des puissances. Il est vrai qu'outre-Manche la situation matérielle de l'impératrice, d'abord précaire, s'était singulièrement améliorée. Les débuts avaient été très difficiles, assez difficiles en tout cas pour que la princesse Metternich, son amie, écrive que « Sa Majesté est installée misérablement ». Quelques Anglais, des aristocrates ou des bourgeois, s'étaient émus de cette détresse. L'un d'eux, M. Strode, avait mis à sa disposition le manoir de
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