Louis Napoléon le Grand
déterminera la marche vers l'Empire libéral: la liberté est un état vers lequel il faut tendre et qui n'est que provisoirement inopportun.
D'ailleurs, la dictature du premier Empire aurait forcément et fatalement, à terme, conduit à la liberté « comme le soc de fer qui creuse le sillon, prépare la fertilité des campagnes ». Dans l'immédiat, c'est encore et pour longtemps d'un gouvernement fort qu'a besoin le pays.
Il lui faut «le génie d'un Napoléon ou la volonté d'une Convention [...], une main forte qui abatte le despotisme de laservitude avec le despotisme de la liberté ». Il lui faut « une Monarchie qui procure les avantages de la République sans ses inconvénients ». Il lui faut un régime « fort sans despotisme, libre sans anarchie, indépendant sans conquête ».
A ce stade, est-il nécessaire de souligner que, pour Louis Napoléon, la place centrale réservée au suffrage universel ne relève nullement de la tactique ou de la démagogie?
Louis Napoléon y croit, de toute son âme. C'est la clé de voûte de son système de convictions.
Il est vrai que cet élément de référence va le servir et qu'il le mettra en avant chaque fois qu'il le faudra, et avec beaucoup d'opportunité. Ce sera le cas à l'occasion du coup d'État, dont il est la justification unique et ultime. Ce sera le cas, encore, lorsqu'il cherchera dans le plébiscite le moyen de laver les fautes qu'on lui impute.
On se méprendrait en refusant de croire à sa sincérité. A ses yeux, le suffrage universel est bien le critère absolu et unique de la légitimité. Légitimité qui confère autant de grands pouvoirs que de grands devoirs. Légitimité qui doit être entretenue et vérifiée: ce sera la fonction des plébiscites.
Mais dès lors que la légitimité est assurée, le pouvoir, s'il peut être discuté, ne saurait être contesté.
Le schéma institutionnel qu'il imagine en porte la marque: à l'empereur, tout le pouvoir exécutif; à un corps législatif, le pouvoir délibératif; au peuple — et au peuple seul — le pouvoir électif et le pouvoir de sanction. Ce qui n'exclut pas l'existence d'une opposition : « Le pays sera heureux tant qu'il y aura harmonie parmi ces trois pouvoirs, c'est-à-dire lorsque l'opposition, qui doit toujours exister dans un État libre, ne sera que comme les dissonances de la musique qui concourent à l'accord total! »
Dans un tel schéma, l'intérêt national est on ne peut mieux pris en compte, et l'esprit de parti, qui n'y a pas sa place, doit être dénoncé comme une horreur absolue. Louis Napoléon écrit ainsi: « Toutes les intelligences n'ont été occupées qu'à lutter entre elles, qu'à discuter sur la route à suivre au lieu d'avancer. La discipline politique s'est rompue et au lieu de marcher droit à un but, en colonnes serrées, chacun a improvisé un ordre de marche particulier et s'est séparé du corps d'armée. »
Au plus près de la conjoncture, prenant la plume le 14 novembre 1836, peu après le coup de Strasbourg, pour se désignercomme le seul coupable, Louis Napoléon décrira une France en proie à ses yeux... au régime des partis: « Aucun parti existant n'est assez fort pour [...] renverser [le Gouvernement]; aucun assez puissant pour réunir tous les Français, si l'un d'eux parvenait à s'emparer du pouvoir. Cette faiblesse du Gouvernement, comme cette faiblesse des partis vient de ce que chacun ne représente que les intérêts d'une seule classe de la société. Les uns ne s'appuient que sur le clergé et la noblesse, les autres sur l'aristocratie bourgeoise, d'autres enfin sur les prolétaires seuls. »
Ce qu'il faut, c'est « réunir autour de l'autel de la patrie les Français de tous les partis en leur donnant pour mobile l'honneur et la gloire».
Ces principes, il faut commencer par les appliquer à soi-même. C'est ainsi que dans une lettre à Armand Laity, par laquelle il autorise celui-ci à publier sa Relation historique des événements du 30 octobre 1836, Louis Napoléon écrit: « On vous demandera [...] où est le parti napoléonien? Répondez: le parti est nulle part et la cause partout. Ce parti n'est nulle part parce que mes amis ne sont pas enrégimentés, mais la cause a des partisans partout, depuis l'atelier de l'ouvrier, jusque dans le conseil du roi, depuis la caserne du soldat jusqu'au palais du Maréchal de France. »
Cela revient à dire que la cause est nationale, et que la création d'un parti est
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