Louis Napoléon le Grand
gouvernements quels qu'ils soient comme des fermiers. Si le fermier administre la terre avec habileté et probité, le propriétaire, heureux de voir les réserves s'augmenter de jour en jour,laissera le fermier gérer en paix durant toute sa vie le bien qu'il lui a confié.
« Après la mort du fermier, le propriétaire remettra à la même place les enfants de celui-ci qu'il aimait et qui lui a rendu service.
« Voilà pour la Monarchie.
« Mais si, au contraire, le fermier trompe la confiance du maître — dilapide ses revenus et ruine la terre — alors le propriétaire, avec raison, le renverra, fera ses affaires par lui-même et mettra à la gestion de ses domaines des hommes auxquels il laissera moins d'autorité et qu'il remplacera d'année en année afin qu'ils ne prennent point pour un droit irrévocable la place qu'il leur accorde.
« Voilà pour la République.
«Je ne vois donc pas dans ces deux administrations différentes de principes fondamentaux contraires; l'une et l'autre, suivant les circonstances, peuvent amener de bons résultats. »
Cela étant dit, il faut bien choisir entre des principes si dissemblables. Ce choix, c'est l'histoire qui va l'éclairer:
« La nature de la République, écrit Louis Napoléon, fut d'établir le règne de l'égalité et de la liberté; les passions qui la firent agir: l'amour de la Patrie et l'extermination de ses ennemis. La nature de l'Empire fut de consolider un trône sur les principes de la Révolution, de cicatriser toutes les plaies de la France, de régénérer les peuples; ses passions: l'amour de la Patrie, de la gloire et de l'honneur. La nature de la Restauration fut une liberté octroyée pour faire oublier la gloire, et ses passions: le rétablissement des anciens privilèges et la tendance à l'arbitraire. La nature de la Royauté de 1830 fut la renaissance des gloires françaises, la souveraineté du peuple, le règne du mérite; ses passions : la paix, l'égoïsme et la lâcheté. »
Entre ces quatre régimes, il est inutile de dire auquel vont ses préférences. Dès lors que le gouvernement doit reposer sur la volonté du peuple et que toute autorité doit émaner de lui, seul l'empire peut apporter la réponse voulue. Seul, en tout cas, l'empire a pu déjà assurer la réconciliation de la liberté et de l'autorité, de la monarchie et de la république.
Pour son neveu, Napoléon I er est donc, en même temps, le continuateur de la Révolution — qu'il purifie de ses déviations les plus négatives — et le champion de la liberté...
Il n'empêche que les réponses pratiques à la contradiction flagrante entre le principe de l'hérédité et celui du suffrage universel sont pour le moins malhabiles et incertaines. Louis Napoléon explique bien que le lien entre le peuple et son souverain a un caractère mystique, mais il doit logiquement concéder que l'avènement de l'Empereur doit être sanctionné par le peuple réuni en assemblée primaire.
Système bancal s'il en est. Qu'importe! On verra bien. Pour l'heure ne lui suffit-il pas d'affirmer son ambition de rendre au peuple l'occasion d'exprimer sa volonté? Et de donner toute garantie, dès lors que le peuple souhaiterait dénoncer le « pacte », quant à la sincérité de sa résolution à redevenir un simple citoyen...
Évidemment, il n'échappait pas à Louis Napoléon que toute analyse sérieuse du fonctionnement du premier Empire conduisait à la conclusion que la liberté des citoyens n'en avait pas été la caractéristique la plus affirmée. Sa réponse était toute prête: ce sont les circonstances qui ont empêché l'empereur de libéraliser le régime: son seul malheur a été « d'avoir libéré la France sans avoir pu lui rendre la liberté ». Le despotisme impérial est ainsi justifié par l'état de désorganisation de la France de l'époque et par la menace extérieure. A défaut de liberté, d'ailleurs, l'ordre et la justice avaient été préservés. Et le premier Empire était rien moins qu'une dictature militaire.
Et puis, en tout état de cause, pour Louis Napoléon, comme pour son oncle, une constitution est l'oeuvre du temps. Déclaration capitale, qui reviendra souvent dans sa bouche, et dont la signification est double : d'abord l'état des institutions dépend des circonstances ; ensuite une constitution n'est pas immuable: elle est, au contraire, inéluctablement appelée à évoluer. Constat essentiel qui permet d'éclairer par avance ce qui
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