Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
carrosse. Il descend, s’approche.
Il est le roi.
Toutes elles se soumettent et il les désire toutes : paysannes ou filles de jardinier, femmes de chambre, dames d’honneur de la reine mère ou suivantes de son épouse Marie-Thérèse.
La pieuse infante d’Espagne lui a murmuré qu’elle est déjà enceinte. Et il en est ravi et flatté. Mais la peau blanche de Marie-Thérèse, son long visage, ses joues un peu grosses et ses dents ébréchées et noires ne suffisent pas à le retenir, à lui donner du plaisir.
Il préfère trousser dans une encoignure du Louvre une domestique aux formes plantureuses et qu’il comble, d’une courte étreinte et d’une poignée de pistoles.
Il ne lui déplaît pas que les femmes de la Cour murmurent avec un frisson qu’il « est galant mais que souvent il pousse la galanterie jusqu’à la débauche ».
Dieu n’interdit pas à un roi de jouir des femmes qu’il a créées, des jeux qu’il a permis.
Louis se rend salle du Palais-Royal, où vient de s’installer la troupe de Molière. Il est séduit par les comédiennes, effrontées, rieuses et rouées. Il aime la comédie. Il a plus que jamais envie de danser.
Il exige que les travaux qui ont commencé dans la petite galerie du Louvre, afin qu’on puisse y représenter le 9 février de cette année 1661 le Ballet royal de l’Impatience, qu’il veut donner en l’honneur de Marie-Thérèse, soient au plus vite terminés. On décore tout le premier étage du palais.
Et tout à coup, dans la nuit du 6 février, il entend des cris. Les valets entrent dans sa chambre. L’incendie ravage la galerie dans laquelle les ouvriers travaillaient jour et nuit, et sans doute ont-ils, par ce froid glacial, allumé un feu pour se réchauffer.
Il se rend sur les lieux.
Les poutres, les parquets et les cloisons sont calcinés.
Dans les lueurs des flammes que les domestiques essaient d’étouffer, il aperçoit Son Éminence et il ressent à le voir une émotion qu’il ne peut maîtriser.
Mazarin a encore maigri. Son teint est terreux.
Malgré ses cheveux frisés au fer, sa fine moustache laquée semble collée sur la peau. Le fond de teint ne parvient à cacher ni les rides ni la pâleur.
Mazarin est un homme que la mort déjà enveloppe, qui avance hagard, qui murmure que cet incendie est le signe qu’il va mourir bientôt.
Les médecins lui ont conseillé de quitter le Louvre, de s’installer au château de Vincennes, près de la forêt. L’air y est pur, il pourra peut-être y survivre deux mois encore, le temps de mettre en ordre les affaires du royaume, de rédiger son testament, de choisir ses héritiers.
Il partira demain pour Vincennes, dit Mazarin. Il s’éloigne en titubant. Il est nu sous sa robe de chambre fourrée et il laisse voir ses jambes squelettiques couvertes de plaques rouges et jaunes, et il répand autour de lui une odeur de putréfaction.
Louis le suit des yeux.
En lui se mêlent la tristesse qui lui fait monter les larmes aux yeux, et une sorte de joie mêlée d’impatience.
Il va enfin régner.
Il ne remplacera pas Mazarin. Il en prend la résolution : il ne veut plus de Premier ministre auprès de lui. Le titre en sera pour jamais aboli en France, rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions et de l’autre le seul nom de roi.
Il décidera de tout.
Il agira dans l’intérêt du royaume et selon son bon plaisir.
Il donne l’ordre, alors que Mazarin quitte le Louvre, que l’on s’apprête dans une des salles du Louvre que l’incendie n’a pas ravagée à représenter le Ballet royal de l’Impatience. Il veut le danser, plusieurs fois.
Son Éminence agonise, mais le roi vit.
Cependant comment oublier que celui qui fut son parrain, son tuteur, plus qu’un père, l’homme qu’il vit si proche de sa mère, se meurt ?
Comment ne pas lui obéir encore quand il prie que le roi se rende à Vincennes en cette fin du mois de février 1661 ?
Louis est surpris par la file de carrosses qui emplissent la cour du château, ont envahi les allées, les terrains alentour. Les couloirs, les salles du château sont pleins de quémandeurs qui espèrent une faveur, une part de l’héritage.
On sait que la fortune de Mazarin est immense, qu’elle se compte en millions de livres, en domaines, en apanages. Il possède des créances sur les princes du sang, et même sur le Trésor du royaume et sur le roi !
Et cet homme richissime, sans doute le
Weitere Kostenlose Bücher