Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
Palatine, s’est inquiétée aussi. Mais la duchesse de Berry n’a écouté ni son mari ni sa mère. Et Louis a préféré se contenter d’un « je verrai » quand on lui a rapporté ces frasques et même ces soupçons de liens incestueux entre Philippe d’Orléans et sa fille.
Il est surpris par le mouvement brusque de la duchesse de Berry. Elle s’appuie à la table des deux mains, repousse sa chaise, la renverse en se levant, quitte la table, et on l’entend vomir dans l’antichambre.
Il est soucieux dans les jours qui suivent, comme si ce comportement de la duchesse de Berry révélait, malgré la naissance du duc d’Anjou et le mariage du duc de Berry, que l’étiquette de la Cour n’était qu’un masque posé sur des passions, des débauches et des ambitions.
Il a beau réunir autour de la même table, pour le souper du roi, son fils le dauphin et son petit-fils le duc de Bourgogne, il sait qu’entre le père et son fils aîné, l’entente ne règne pas. Il connaît les défauts et les qualités de l’un et de l’autre.
Le dauphin aime les arts et les plaisirs. Il est nonchalant. Les rumeurs le disent apathique, étouffé par sa graisse. On critique son mariage secret avec une Mlle Chouin qui régente les soirées du château de Meudon. Saura-t-il gouverner le royaume ? Les espions du lieutenant de police d’Argenson le disent populaire.
Ils assurent aussi qu’autour de son fils, le duc de Bourgogne, s’est constituée une coterie, une cabale, animée par le duc de Saint-Simon, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse, et ce Fénelon qui, de son évêché à Cambrai, est l’âme de ce parti dévot. Ils espèrent que l’accession au trône du duc de Bourgogne permettra la constitution d’un gouvernement des ducs et des princes, consultant tous les trois ans les états généraux, « États du royaume entier ».
C’est la mort du roi qu’ils escomptent.
Il le sait, elle est là, toujours en embuscade.
Le 9 avril, un courrier venu du château de Meudon lui tend une missive des médecins du dauphin.
Le dauphin s’habillait pour la chasse au loup, sa passion quotidienne, quand il s’est affaissé sur sa chaise percée, le visage empourpré, frappé par une soudaine fatigue, un accès de fièvre. Et les médecins craignent la petite vérole.
Il faut se rendre à Meudon, même si l’air est chargé de tous les miasmes de la maladie.
Le dauphin est l’héritier du trône, son père doit être à ses côtés.
Il n’hésite pas à entrer dans la chambre, à s’approcher du dauphin, dont le visage est couvert de pustules rouges. Mais les médecins se montrent confiants. Ils ont déjà saigné plusieurs fois le dauphin.
Louis se retire, tient ses Conseils des ministres, deux fois par jour, parce qu’il faut décider de poursuivre les négociations avec les Anglais et qu’elles sont difficiles. Marlborough prépare une offensive contre Bouchain, la dernière forteresse tenue par les troupes françaises. Il faut retenir le maréchal de Villars qui commande à nouveau en Flandre et voudrait attaquer les Anglais aussitôt. Il faut le convaincre que les négociations font espérer la paix.
Louis soupe après le Conseil. Et tout à coup, il voit Fagon entrer. Il connaît cette expression du médecin, son visage décomposé. Fagon balbutie, murmure que « tout est perdu », que le venin de la petite vérole a suffoqué M. le dauphin brusquement au moment où on le croyait sans danger. Sa mort a été aussi imprévue que s’il était mort d’apoplexie.
Louis a l’impression que tout son corps est devenu un bloc de pierre. Son fils, à peine âgé de plus de quarante-neuf ans, est mort, sans avoir eu le temps de se confesser, ayant reçu seulement l’extrême-onction.
Il faut penser au destin du royaume.
Il décide de ne pas rentrer à Versailles où se trouve toute la famille royale, ses fils, ses petits-fils, ses arrière-petits-fils.
Il faut les avertir du décès, de l’air vicié de petite vérole que tous ceux qui ont approché le dauphin peuvent porter avec eux.
Il va se rendre à Marly, et demain il y recevra les princes et les princesses. Mais il veut que le duc et la duchesse de Bourgogne, ceux qui maintenant vont régner après sa mort, viennent à sa rencontre quand son carrosse passera près de Versailles.
Il les aperçoit en pleurs dans cette nuit claire du 14 avril 1711.
Il sait gré à Mme de Maintenon de crier au duc et à la duchesse :
« Où
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