L'ultime prophétie
t'ai toujours bien traité.
— En effet. Mais je suis toujours resté un esclave.
Ezinha se raidit.
— Je t'ai aimé comme un membre de ma propre famille.
— Je ne suis pas libre pour autant.
— Je pensais que tu m'aimais aussi.
Mihabi sentit sa détermination vaciller ; son cœur se serra
et des larmes lui montèrent aux yeux. Il ressentait au plus profond de son être
les conséquences de ce qu'il s'apprêtait à faire. Cette perspective ne lui
sembla plus aussi attirante. Il n'éprouvait que chagrin. Il répondit enfin, la
voix rauque :
— Je vous ai aimé, maître.
Ezinha regarda le couteau qu'il tenait à la main puis le
baissa lentement.
— Je ne ferai jamais de mal à mon frère.
Mihabi déglutit péniblement.
— Je n'ai jamais vraiment été votre frère. Si je l'avais
été, j'aurais joui de la même liberté que vous. Je veux choisir ma place dans
la vie, plutôt que me la voir imposer par d'autres.
Ezinha hocha la tête.
— Tu mourras là-dehors, Mihabi.
— Peut-être. Mais je mourrai libre.
Ezinha s'élança vers lui. Avant que Mihabi n'eût le temps de
réagir, son maître avait tracé, à l'aide de son couteau, une entaille sur la
marque de servitude qu'il portait au bras. Cette entaille signifiait qu'un
esclave avait été libéré par son maître. Le sang coula de la blessure sur le
sol dallé.
— Tu es libre à présent, mon frère, dit Ezinha. Fais ce
que tu dois faire. Mais n'oublie pas, Mihabi. Si tu me menaces ou menaces les
miens, je te traiterai comme je traite les voleurs.
— Je n'en attendrai pas moins de votre part.
— Je te demande donc de ne pas revenir ici. Pour ton bien.
Car si je te revoyais, je ne pourrais te faire confiance.
Mihabi se dirigea vers la porte. Le sang coulait toujours de
son bras. Puis il s'arrêta et se tourna vers son ancien maître.
— Vous ne m'avez jamais fait confiance. Votre rang vous
l'interdisait. Si nous nous revoyons, que ce soit en hommes égaux. Et si nous
survivons tous les deux, alors peut-être la confiance pourra naître entre nous.
Il se glissa dehors. Oui, il était libre maintenant, et la
vive blessure de son bras le protégerait des patrouilles de nuit. Mais sa liberté,
achetée au prix du sang, n'était que piètre consolation comparée à la tristesse
qui étreignait son cœur. Que signifiait cette liberté quand il avait perdu le
seul frère qu'il avait ?
Des larmes coulaient sur ses joues tandis qu'il traversait
la ville. Les pleurs et le sang étaient la rançon de la liberté. Et il savait
qu'il n'avait pas encore entièrement payé ce prix. Plus de larmes et plus de
sang seraient versés avant que tout cela ne se terminât.
L'aube naissante n'éclairait encore que la crête des
montagnes à l'est lorsque les armées ouvrirent la marche. Suivant les derniers
rapports des éclai reurs, il avait été décidé que les Anari formeraient
l'avant-garde afin de traverser les montagnes, puis traceraient un cercle
jusqu'à atteindre l'arrière-garde de la légion bozandari. Quant aux soldats de
Tuzza, ils avanceraient tout droit sur elle.
La plupart des Anari préféraient cette approche à l'idée
d'avancer aux côtés des hommes de Tuzza. La confiance entre les deux groupes
demeurait fragile et aucun des deux ne tenait à se retrouver en position de
dépendre de l'autre.
Cette tactique, dite du « marteau et de l'enclume » selon
les termes de Tuzza, était fort habile. Les Bozandari l'appliquaient depuis des
générations avec succès et les Anari venaient de faire la preuve de son
efficacité pour la première fois en l'utilisant contre eux.
A la tête de la colonne chevauchaient Archer, Tuzza, Jenah
et les trois Ilduins. Ils avaient à peine parcouru une lieue qu'Archer vit
Ratha galoper vers eux. Avisant la mine détendue de ce dernier, Archer comprit
que quelque chose avait changé en lui.
— Bienvenue, mon frère, dit-il. C'est bon de t'avoir de
nouveau à mes côtés.
— Merci, répondit Ratha. C'est un honneur pour moi que de
vous accompagner, Maître Archer.
— M'accompagner ? s'étonna Archer.
Cilla éclata de rire.
— Je crois qu'il parle de moi, Maître Archer. Bien qu'il
n'avouerait jamais pareille chose.
— Mais toi, si, dit Ratha en s'efforçant de retenir un
sourire.
— Evidemment ! intervint Tess en riant. Mais ne crains
rien, mon ami. Tout ce qu'elle a pu nous dire était sincère et gentil.
— Et
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