Ma mère la terre - Mon père le ciel
fatigue, Chagak ne pouvait dire si ses pensées étaient réelles ou si elles faisaient partie d'un rêve. Les sculptures du vieil homme se mirent à bouger, à danser sur les étagères, mais cela paraissait naturel. Chagak les regarda avec solennité sans savoir qu'elle rêvait. Elle dormit sans savoir qu'elle dormait.
Quand elle s'éveilla, les yeux ouverts au regard fixe de Pup lui apprirent qu'il était mort. L'esprit de Chagak n'avait pas été assez fort pour le retenir en même temps que ses rêves.
Elle se pencha sur la forme immobile du bébé et entonna le chant funèbre de son peuple.
Chagak lava le petit corps de Pup et l'enveloppa dans des fourrures que lui donna le vieil homme. Elle n'avait plus de larmes mais un poids au centre de sa poitrine semblait bloquer toutes ses pensées.
Le vieil homme lui apporta un tapis, un de ceux qu'elle avait tissés avec une bande plus foncée à chaque extrémité. Le tapis était humide et rempli de sable, aussi Chagak alluma-t-elle deux lampes et tint le tapis au-dessus. Quand il fut sec, elle le secoua pour en déloger le sable.
— Pleure, ma petite, lui dit le vieil homme tandis qu'elle travaillait.
Mais Chagak le regarda les yeux grands ouverts de surprise, comme si elle n'avait pas de raison de pleurer, et le vieil homme se détourna.
Pendant un long moment elle tint son frère en caressant la peau douce de son front et en chantant. Mais finalement, le vieil homme apporta le berceau de Pup. Il était également humide et l'un des côtés en bois s'était brisé.
Elle fut surprise que le vieil homme ait pu le retrouver. La plus grande partie de ses affaires avait dû être emportée par la mer. Maintenant Pup pouvait partir avec son berceau dans le monde des esprits et parce que son père l'avait fabriqué il y aurait un lien qui attirerait Pup vers son peuple.
Tenant le berceau sur ses genoux, elle regarda le vieil homme arpenter la pièce en étudiant les nombreuses figurines sur les étagères. L'ulaq était beaucoup plus petit que celui de son père et il n'existait que trois petites pièces pour y dormir. Leurs rideaux coupaient la ligne des étagères à une extrémité de l'ulaq. Finalement, le vieil homme choisit deux sculptures, l'une représentant un dauphin, l'autre une loutre.
Chagak le regarda s'installer près d'une lampe à huile et nouer une fine cordelette autour de chaque animal. Puis, tirant un grand panier de sous une étagère, il sortit plusieurs morceaux de bois. L'un était un mince ruban aussi long et fin que le petit doigt de Chagak, l'autre plus large et aussi long que sa main, mais moins large.
Il travailla sur le plus petit morceau, le creusant avec un couteau dont la lame n'était pas plus longue que la dernière phalange de son pouce. Il travailla jusqu'à ce qu'il eût presque complètement évidé le bois, de sorte qu'il ne restait plus qu'une mince couche. Mais lorsqu'il le souleva pour le montrer à Chagak, elle se rendit compte que c'était un harpon, tout petit mais parfait, même les barbillons de la tête étaient en place. Avec les morceaux de bois restants, il grava un arc avec une encoche qui se fixait à l'extrémité du harpon, véritable fronde permettant au chasseur d'accroître la distance et la force de son lancer. Il noua ces deux petits objets à la cordelette suspendue au cou du phoque. Le plus grand des deux morceaux de bois devint un ikyak, petit et parfait. Après l'avoir terminé, le vieil homme le polit avec une pierre de grès. Lorsqu'il le tendit à Chagak, le bois était aussi doux qu'une peau récemment tannée.
Il attacha alors l'ikyak au cou de la loutre et réunit les deux cordelettes pour les placer dans le berceau de Pup.
— L'un pour fournir la nourriture, l'autre pour le guider vers ton peuple et les Lumières Dansantes.
Chagak acquiesça, mais les paroles du vieil homme avaient donné une forme aux frayeurs qu'elle éprouvait et elle sentit des larmes se former au coin de ses yeux.
— Il est si petit, chuchota-t-elle, puis sa gorge se serra et elle ne put rien ajouter.
Le vieil homme vint s'asseoir près d'elle.
— Pourquoi crois-tu que je lui ai donné une loutre? demanda-t-il.
Il souleva la petite figurine en ivoire et Chagak admira la perfection des traits, les yeux, la courbe de la bouche et même la séparation des doigts et des orteils sur les pieds de la loutre.
— As-tu jamais vu une mère loutre négliger ses petits ?
Il tourna la statuette et montra une
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