Ma mère la terre - Mon père le ciel
savait rien de cet homme seul, peut-être contrôlé par des esprits — bons ou mauvais.
— La mer est calme, dit-elle.
— Les orages viennent vite de ma montagne Tugix, répondit-il.
Chagak se tourna vers les sommets blancs en essayant de voir si le vent poussait la neige sur ses pentes.
— Si le vent se renforce, dit-elle finalement, je viendrai dans ton ulaq.
— Tu ne trouveras pas ton chemin dans le noir.
— Alors montre-le-moi et je m'en souviendrai.
Elle l'accompagna le long de la plage, puis sur
un étroit sentier menant vers le sommet d'une colline.
— C'est là, indiqua-t-il.
Shuganan s'assit à l'intérieur de l'ulaq et attendit. Il avait allumé toutes les lampes et avait étendu des fourrures de phoque derrière les rideaux des couches. Il vaudrait mieux que la jeune femme n'ait pas à chercher l'ulaq dans l'obscurité, mais il connaissait Tugix.
Des orages naissaient sur ses pics. Un crachin s'élevait avant l'arrivée de la pluie et du vent sur la plage. Aujourd'hui, Shuganan avait observé le miroitement de l'air près du sommet, signe d'esprits se déplaçant, aussi attendait-il maintenant que l'orage se manifeste.
Shuganan avait creusé son ulaq sur les flancs de la colline et souvent, quand il était à l'intérieur, il sentait Tugix secouer la terre. Parfois les secousses étaient douces comme celles d'une mère berçant son enfant, mais parfois c'était avec colère en faisant tomber de la terre et des feuilles sur les poutres.
Depuis qu'il était installé là, Shuganan avait toujours considéré Tugix comme un ami et un protecteur. Un jour, alors qu'il était encore un homme jeune, il avait escaladé la montagne et avait ramené un petit morceau de rocher pas plus grand qu'une main. Toutes les nuits pendant très longtemps il avait utilisé une autre pierre pour donner à ce morceau de rocher la forme d'un homme.
Quand il avait été terminé, Shuganan avait attaché une cordelette autour de la tête de la statuette et l'avait suspendue à la poutre de la pièce principale de l'ulaq. Ainsi que Shuganan l'avait espéré, le petit homme portait toujours une partie de l'esprit de Tugix. Suspendu en souriant au sommet de l'ulaq, il remuait chaque fois que Tugix bougeait. Parfois, quand Shuganan ne sentait pas trembler la terre, n'entendait pas le grondement de la montagne, il voyait quand même le petit homme s'agiter et il savait que l'esprit de Tugix était troublé.
Shuganan n'avait pas eu l'intention de dormir et il ne sut pas ce qui l'avait réveillé, mais il se rendit compte que le vent avait augmenté et que le son était assez fort pour avoir traversé les murs épais de l'ulaq. Au bout de sa cordelette, le petit homme se livrait à une étrange danse saccadée.
La première idée de Shuganan fut de retourner sur la plage pour ramener la femme et l'enfant et les mettre à l'abri, mais soudain une pensée lui vint : c'est un rêve. Cette femme est un rêve. Toutefois quelque chose s'agitait au fond de lui en le poussant à sortir, en lui disant que cette femme avait besoin de son aide. Il se leva lentement, surpris que ce simple geste fût si peu douloureux. Puis il pensa : pourquoi pas ? C'est encore un rêve.
Un rêve oublie parfois une partie de la vie. Cette fois, sa fantaisie était d'oublier la douleur.
Shuganan enfila ses bottes en peau de phoque. La doublure épaisse et rugueuse en peau de lion de mer sembla dure sous ses pieds. Il grimpa sur le toit, puis il sortit pour affronter l'orage.
7
Chagak se glissa sous l'embarcation et essaya d'empêcher le vent de l'emporter. Ses bras étaient lourds et la douleur se propageait de ses épaules à son dos. Pup glissait sous son suk et commença à pousser de petits cris étouffés.
Du sable et des morceaux d'argile arrachés par le vent entraient sous l'ik et s'entassaient sur les fourrures.
— Aka ! Aka ! Je t'en supplie arrête-toi !
Mais l'île appartenait à Tugix et non à Aka et le vent emporta ses paroles. Elle n'entendait plus que le fracas des vagues contre les rochers.
Soudain le vent cessa et Chagak relâcha sa prise au bord de l'ik. Un craquement ressemblant à une explosion de pierre retentit au sommet de la montagne. Chagak poussa un hurlement, le vent lui arracha l'ik des mains et l'emporta à l'autre extrémité de la plage. Fermant les yeux sous la tempête de sable, elle se mit à ramper vers l'ulaq du vieil homme.
Une envolée de schiste l'obligea à tourner la tête en direction
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