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Ma mère la terre - Mon père le ciel

Ma mère la terre - Mon père le ciel

Titel: Ma mère la terre - Mon père le ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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rangée de tétons sur le ventre de la loutre.
    — Les loutres ne se perdent pas et elles n'abandonnent jamais leurs petits. Elle sera la mère de ton frère jusqu'à la fin de son voyage, jusqu'à ce qu'il ait retrouvé sa véritable mère.
    Il tendit la loutre à Chagak et elle la serra dans ses mains. En la tenant ainsi, la loutre parut se réchauffer. Chagak regarda le vieil homme.
    — Je m'appelle Chagak 4 , lui dit-elle. C'est le nom que mon père m'a donné.
    Le vieil homme sourit. Dire son nom n'était pas un acte fait à la légère car quelqu'un qui connaissait le nom d'une autre personne pouvait contrôler une partie de son esprit.
    — Un nom sacré, répondit-il en pensant à la pierre translucide dont elle portait le nom.
    L'obsidienne était l'esprit des rochers de la montagne.
    — Je suis Shuganan, ajouta-t-il.
    — Un nom ancien, dit Chagak, un nom de shaman.
    — Je ne prétends pas être un shaman, mais je prierai pour que ton frère voyage sain et sauf.
    Cette nuit-là ils gardèrent le corps dans l'ulaq avec eux, mais le lendemain Shuganan porta le berceau à l'endroit qu'il appelait son ulaq des morts. Chagak le suivit sur une colline basse. Des aconits à longues tiges, aux fleurs bleu foncé poussaient autour de l'ulaq. Le trou du toit était fermé par des morceaux de bois carrés liés ensemble par un lien ressemblant à des orties, une plante que les oiseaux ou les petits rongeurs ne mangeraient pas.
    Shuganan utilisa sa canne pour enlever la poussière qui s'était accumulée autour de la porte, puis enleva le bois. Une odeur d'humus et d'humidité remplissait l'air qui sortait de l'ulaq. Chagak s'efforça de voir à travers l'obscurité, mais ne distingua rien.
    — Y a-t-il d'autres corps enterrés là ? demanda-t-elle.
    Shuganan ne répondit pas et Chagak répéta sa question. Le vieillard la regarda comme s'il était surpris de la voir à côté de lui.
    — Ma femme, dit-il avant de commencer un chant, dans une langue que Chagak ne connaissait pas.
    L'épouse de Shuganan, morte depuis six étés, était une vieille femme quand elle était morte, mais elle était toujours jeune pour lui — jeune car au cours de leurs dernières années ensemble, Shuganan ne l'avait pas vue telle qu'elle était mais comme la jeune fille brune épousée en échange de trois longues années de chasse au phoque.
    Son chant l'appelait. L'entendait-elle ou avait-elle trouvé un autre homme, un chasseur qui prenait soin d'elle à sa place dans les Lumières Dansantes? Quelqu'un qui lui donnerait peut-être le fils qu'il ne lui avait pas donné. Il chanta plus fort, espérant que ses mots seraient emportés au loin dans le monde des esprits. C'était un cadeau qu'il voulait lui faire et aussi quelque chose qu'il offrirait à Chagak : la sécurité de cet enfant.
    Il introduisit le berceau dans l'ulaq et descendit lentement sur les marches crantées. Quand il fut à l'intérieur, il alluma la lampe à huile. La flamme envoya des cercles jaunes sur les étagères de sculptures qui tapissaient les murs. Chagak qui l'avait suivi eut un sursaut mais ne dit rien.
    Shuganan n'essaya pas d'expliquer. Pourquoi un homme devrait-il commenter les cadeaux qu'il avait faits à sa femme ? Comment explique-rait-il des sentiments qui n'étaient pas morts? Comment aurait-il pu vivre sans sa femme si une année entière ne s'était pas écoulée pour sculpter toutes les choses qu'elle aimait afin de pouvoir les emporter dans les Lumières Dansantes ? Des fleurs, des loutres, des plantes, des oursins, des canards, des oies, des mouettes. Et des étagères de bébés pour remplacer les bébés qu'il n'avait pu lui donner pendant sa vie.
    « Mais aujourd'hui je t'apporte un véritable enfant », pensa-t-il. Puis il ajouta quelques mots à son chant, quelque chose dans la langue de son propre peuple. Car il ne voulait pas que Chagak pût craindre que sa femme prenne l'enfant à sa famille. L'enfant ne serait pas pris mais partagé.
    Il se retourna, vit le monticule qui était le corps de sa femme, les genoux ramenés vers la poitrine, le corps enveloppé d'une couverture. Il prit le berceau et le plaça près de sa femme. Il continua sa lente mélopée en sortant de l'ulaq.
    Avec l'aide de Chagak il referma l'ouverture, ajoutant de la terre entre les joints. Ils restèrent longtemps sur le toit, sans parler, dans le vent.
    Chagak pensait à la mort et tandis que le soir tombait, elle sentit l'obscurité peser sur elle.

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