Ma mère la terre - Mon père le ciel
couche, elle eut l'impression d'entendre le ronronnement du bola chanter à ses oreilles. Et tout en doutant que les canards soient toujours sur la plage le lendemain, elle eut des visions de ce qu'elle pourrait faire d'une peau d'eider, quelque chose pour un bébé, pour envelopper le corps de son frère ou peut-être, pensa-t-elle avant de s'endormir, un vêtement pour un autre enfant, un jour.
Shuganan fut réveillé par les cris des canards, le claquement de leur bec pendant qu'ils mangeaient et par un autre bruit. Un bruit d'ailes? Non. Celui du bola.
Au cours de la nuit ses articulations s'étaient ankylosées et il se leva péniblement de sa couche. Quand il entra dans la pièce principale de l'ulaq, il vit que Chagak avait allumé plusieurs lampes et disposé du poisson séché à son intention, mais elle était sortie. A nouveau il entendit le bola. Un bruit sourd semblait indiquer qu'elle avait touché une cible ; il grimpa à son tour sur le toit en criant à Chagak :
— J'arrive, ne tire pas.
— Ne t'inquiète pas, dit-elle, et Shuganan la regarda avec surprise.
Il y avait dans sa voix une note de jubilation qu'il n'avait jamais entendue jusque-là.
— Regarde, dit-elle en désignant un rocher un peu plus loin.
Elle fit tournoyer le bola et visa. Les pierres heurtèrent le haut des rochers.
— Tu apprends vite, admira-t-il, et il remarqua que les yeux de la jeune fille brillèrent en entendant ce compliment.
— Et vois, reprit-elle, les canards sont restés.
Shuganan secoua la tête avec étonnement.
Qu'est-ce qui avait bien pu les conduire ici? Jamais aucun canard ne s'était posé sur ce rivage et il était trop tôt pour qu'ils se rassemblent pour l'hiver.
— C'est un cadeau de mon peuple, dit Chagak comme si elle lisait les pensées du vieil homme. C'est un signe que je dois vivre.
Et comme Shuganan ne voyait pas de meilleure explication, il acquiesça avec plaisir à cette idée.
— Je suis prête maintenant, déclara-t-elle.
N'étant pas certain de comprendre, Shuganan
ne répondit pas. Elle fit quelques pas avec précaution vers le rivage, il vit qu'elle allait essayer de toucher un canard. Il n'était pas sûr que ce fût le bon moment et il pensa qu'elle avait peu de chances de réussir. Il voulut la rappeler, lui dire d'attendre, mais il eut peur d'effrayer les canards, aussi la laissa-t-il se glisser sur le côté de l'ulaq et avancer lentement.
Chagak s'était laissée tomber sur les genoux et les mains. Elle se déplaçait si lentement que Shuganan ne savait pas si elle bougeait vraiment. Il retint son souffle comme il le faisait quand il chassait lui-même.
Les canards exécutèrent une lente retraite vers l'extrémité de la mare à la recherche de coquillages. Un mâle se redressa en battant des ailes au-dessus de l'eau, mais ne manifesta pas l'intention de s'envoler. Chagak rampa encore plus près.
Shuganan savait que le bola serait moins efficace à la surface de l'eau. La chute des pierres serait amortie. Il avait souvent chassé les canards ou les oies avec cette arme et aurait aimé être capable d'expliquer à Chagak la manière de tuer un canard.
Saurait-elle pousser un cri et tirer juste au moment où les canards commenceraient à s'envoler, alors que l'eau alourdirait leurs ailes?
Chagak avait enroulé le bola autour de son bras, les pierres remuèrent dans ses mains et elle se souleva, mais seulement sur ses genoux. Shuganan craignit qu'elle ne tirât de cette position, ce qui lui ferait perdre une partie de sa puissance. Mais soudain elle se redressa en faisant tourner le bola autour de sa tête.
Certains canards l'avaient remarquée et avaient commencé à traverser la mare, mais d'autres continuaient à manger.
— Crie, Chagak, et ils s'envoleront ! dit Shuganan.
— A-r-r-r-t ! hurla-t-elle.
Les canards s'élevèrent au-dessus de l'eau tandis que le cri semblait contrôler le cercle régulier du bras de la jeune fille. Le bola s'enroula et quand elle le lâcha il tomba près des canards et s'enfonça dans l'eau.
Déçu, Shuganan sauta près d'elle mais, quand elle se retourna, il vit qu'elle riait.
— J'en ai presque touché un, as-tu vu ?
— Oui, j'ai vu, répondit Shuganan en souriant.
Chagak se dirigea vers la mare, mais Shuganan
l'arrêta en saisissant la manche de son suk.
— Tu te couperais les pieds sur les coquillages, dit-il.
— Les canards vont revenir, j'ai besoin du bola.
— Alors attends.
Shuganan prit
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