Ma mère la terre - Mon père le ciel
dit Oiseau Gris.
— Pourquoi tuerions-nous ce vieil homme? rétorqua Longues Dents en crachant par terre. Tu es bien fou, Oiseau Gris.
Kayugh regarda les deux hommes. Oiseau Gris serrait les poings en pinçant les lèvres avec une expression méprisante, tandis que l'autre l'ignorait et se concentrait sur Kayugh.
— Nous ne sommes pas des tueurs, dit-il.
Il rencontra le regard de Longues Dents semblant lui dire qu'il était d'accord avec lui et il reprit avec plus de confiance :
— Si ce vieil homme n'avait pas voulu de nous sur son île, nous n'y serions pas allés, mais il nous y invite. C'est un shaman, j'en suis sûr, et il a de grands pouvoirs. Je vous ai parlé de la baleine, mais laissez-moi vous parler de son ulaq.
— Que nous importe son ulaq, coupa Oiseau Gris.
— Il y a trois ulas, continua Kayugh. Deux sont fermés comme des ulas des morts, l'autre, plus petit, est celui dans lequel vit le vieil homme. A l'intérieur les murs ont été garnis d'étagères sur lesquelles se trouvent de petites représentations d'hommes et d'animaux, toutes gravées ou sculptées avec des yeux, une bouche et des détails d'habillement comme des plumes ou de la fourrure.
« D'abord j'ai cru que ce vieil homme était un esprit, et qu'il avait fabriqué ces statuettes pour attirer les animaux sur sa plage, mais pendant que nous étions assis et bavardions il a travaillé tout le temps avec un couteau, gravant et sculptant un morceau d'ivoire jusqu'à ce qu'il commence à ressembler à une baleine. Il me l'a donné. »
Kayugh tira la sculpture de son parka. Il avait vu Shuganan faire un trou dans l'ivoire et y insé-rer une cordelette afin que Kayugh pût porter la figurine comme une amulette autour du cou.
Pour percer ce trou, Shuganan avait utilisé un morceau d'obsidienne taillé en pointe à une extrémité. Il avait placé un petit bol d'huile sur ses genoux et y avait plongé la sculpture en la tenant fermement d'une main tandis que de l'autre il tournait la pointe de l'obsidienne, pressant, tournant, pressant, tournant, pressant, tournant.
— L'huile renforce l'ivoire, a-t-il expliqué, sans elle l'ivoire s'écaillerait et parfois pourrait même éclater et alors l'esprit de la sculpture s'échapperait.
Kayugh se pencha en tenant la figurine dans sa main. Elle n'était pas plus longue que son petit doigt, et sa blancheur brillait à la lueur du feu.
Les femmes portèrent leurs mains devant leur bouche et Longues Dents lui-même siffla doucement. Oiseau Gris se pencha en avant mais ne toucha pas l'objet.
— Ce vieil homme avait-il vraiment une baleine sur sa plage ? demanda Longues Dents.
— Oui, une grosse baleine.
Longues Dents secoua la tête.
— Peut-être 1 a-t-il attirée avec une sculpture ?
— Je l'ignore, dit Kayugh, mais il y avait plusieurs sculptures de baleines dans son ulaq et une autre au-dessus du berceau du bébé.
Nez Crochu changea de position et s'approcha du feu. Kavugh savait que c'était le signe qu'elle voulait parler. Habituellement, les femmes ne prenaient pas la parole au cours des réunions du village. Mais Nez Crochu posait toujours des questions avisées et répondait avec une même sagesse. Les hommes étaient habituellement disposés à l'écouter.
— La femme est-elle sa petite-fille ou son épouse ? demanda-t-elle.
— Sa petite-fille. Il m'a dit que son mari était mort. Elle est très jeune et parle la même langue que nous. Son grand-père est très âgé et j'ai eu l'impression qu'il n'avait pas toujours parlé notre langue.
— Nous devrions tuer ce vieil homme, répéta Oiseau Gris. Cela nous ferait plus de femmes et plus d'enfants.
— Nous ne pourrions le tuer même si nous le voulions, protesta Longues Dents. Ses sculptures le protègent.
Oiseau Gris haussa les épaules d'un air dubitatif:
— J'ai connu d'autres hommes qui sculptaient. Quel grand pouvoir y a-t-il là-dedans ? J'ai moi-même gravé des silhouettes de phoques sur la lance de mon harpon.
— Oui, dit Nez Crochu, mais nous savons tous que cela ne t'a pas aidé dans ta chasse.
Oiseau Gris sauta sur ses pieds et se pencha sur l'impertinente, mais Longues Dents, assis entre eux, s'interposa et obligea Oiseau Gris à se rasseoir. Puis, se tournant vers sa femme, il ordonna :
— Nez Crochu, reste tranquille.
Anxieux de savoir pour quelle raison Nez Crochu s'intéressait à Chagak, Kayugh demanda :
— Pourquoi voulais-tu savoir si cette femme était son épouse
Weitere Kostenlose Bücher