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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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l'autre, sans rien perdre de la scène.
    Trois Poissons était grande et plantureuse comme tous ceux d'ici, et son sourire s'ouvrait sur une mâchoire aux dents cassées. Comment pourrait-elle être une bonne épouse si dès sa jeunesse ses dents étaient rognées et effritées? Combien de bottes de nageoires de phoque ferait-elle, frisottant les semelles de ses dents, avant qu'elle n'eût plus de dents du tout?
    — Où sont tes amies ? s'enquit Samig auprès de la fille.
    Trois Poissons gloussa bêtement et lança un bras en direction des deux autres.
    — Elles pensent que tu es un géant et que tu vas les manger, répondit-elle en riant de nouveau.
    Samig ne dit mot. Il était sur ses gardes quand il devait s'adresser à une fille du village. Bien qu'il n'eût que peu d'expérience des choses du lit, il savait que les trois filles avaient été prises peu après leur premier sang. Parmi les Chasseurs de Baleines, tout homme excepté le père, le grand-père ou le frère avait le droit de demander ses faveurs, à ceci près qu'une femme mariée ne pouvait être donnée que par son époux. Ces trois-là avaient très envie de partager la couche de Samig, si bien qu'elles passaient un temps fou à le suivre, en agitant leur tablier. Et si Trois Poissons apportait peu de désir au cœur de Samig, les deux autres, Petite Fleur et Panier Moucheté, n'étaient pas laides.
    Cependant, au cours de la première journée que Samig avait passée avec les Chasseurs de Baleines, Nombreuses Baleines avait ordonné :
    — Pas de promenade nocturne. Marcher la nuit fera pousser l'herbe entre tes orteils et tu seras maudit pour toujours auprès des animaux marins.
    Cet étrange avertissement avait laissé Samig pantois. Aussi avait-il demandé à Oiseau Crochu, un jeune homme du village, ce qu'avait voulu dire Nombreuses Baleines.
    — Pas de visites, avait répondu Oiseau Crochu avant de partir d'un rire qui avait laissé penser à Samig que Oiseau Crochu ne l'aimait pas. Pas de nuits avec les femmes. Tu n'es pas encore un homme.
    Alors Samig comprit que, s'il était un gamin aux yeux de Nombreuses Baleines, il l'était aux yeux de tous. Un homme chassait des baleines, or Samig ne possédait même pas un ikyak digne de ce nom.
    Si bien que les gloussements de Trois Poissons étaient curieusement réconfortants, et la pensée venait à Samig chaque fois qu'il l'entendait rire : quelqu'un me voit comme un homme.
    Épouse Dodue était assise dans la grande pièce centrale éclairée par des lampes à huile de baleine qui brûlaient plus proprement que celles à huile de phoque des Premiers Hommes.
    Samig attendit respectueusement qu'Épouse Dodue remarque sa présence puis, lorsqu'elle le regarda, il s'accroupit pour parler :
    — Je suis prêt pour la couverture, grand-mère, dit-il.
    — As-tu achevé l'armature? s'enquit Épouse Dodue.
    — Oui.
    — Alors assieds-toi, et je te parlerai de ce que m'a dit Nombreuses Baleines. Peut-être te le dira-t-il lui-même, peut-être pas. C'est quelque chose qu'il te faut savoir.
    Samig s'installa sur les nattes, jambes croisées selon la coutume des Chasseurs de Baleines. Épouse Dodue posa le panier qu'elle était en train d'achever, et Samig remarqua combien le travail en était grossier comparé à celui de sa mère. L'image de sa mère assise avec un panier renversé sur un pieu alourdit son cœur. Puis Samig ramena ses pensées vers Épouse Dodue, avec ses cheveux graissés tirés serrés en arrière, avec son visage rond et ses petits yeux luisants à la lumière des lampes à huile.
    — Nous sommes un grand peuple, commença-t-elle sur un ton litanique désormais coutumier, début de tout projet ou histoire. Tu es plus qu'un garçon, mais pas encore un homme. Dans ce village, pour être un homme, tu dois chasser la baleine. Mais comme tu chasses déjà le phoque, tu n'iras pas avec les garçons qui apprennent lentement au fil des ans.
    Elle se pencha pour plonger son regard dans celui de Samig et poursuivit :
    — Nombreuses Baleines t'enseignera.
    Elle se cala de nouveau et ajusta la natte pliée sur ses genoux avant d'ajouter :
    — C'est un grand honneur.
    Samig, ne sachant trop ce qu'il devait dire, répondit enfin :
    — Oui, grand-mère, c'est un grand honneur.
    Épouse Dodue sourit et tendit la main pour tapoter le genou de Samig qui s'obligea à sourire sans un geste de recul. Chez son peuple, toucher était réservé aux épouses d'un homme et à ses enfants.

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