Ma soeur la lune
sur l'estomac de Qakan, l'autre sur son bas-ventre. Qakan gémit. Il lâcha la pagaie. Mais, d'une main, il saisit les cheveux de Kiin et, avant qu'elle ne puisse se dégager, il l'entourait de son bras, serrant son visage contre sa poitrine. Il comprima sa cage thoracique jusqu'à lui couper le souffle, jusqu'à ce que son cœur n'eût plus la place de battre. Il glissa sa main vers sa gorge, appuya sur sa trachée. Les poumons de Kiin la brûlaient, tant elle avait besoin de respirer, ses yeux s'assombrirent, tout devenait gris, tout tremblait.
Kiin inspira longuement.
— Frappe-moi, dit-elle d'une voix rauque. Les-les Chasseurs de Morses te-te donneront un bon prix pour une-f-f-femme pleine de cicatrices au visage.
Qakan grimaça. Des bulles de sang apparurent entre ses dents.
— Tu es stupide, Kiin, siffla-t-il tout en crachotant de la salive et du sang.
Kiin essaya de détourner les yeux, mais Qakan lui tira les cheveux afin de lui relever la tête qu'il projeta contre les montants de bois de l'ik. La douleur éclata à l'arrière du crâne de Kiin. Une fois encore, toutes les choses furent doubles et floues.
— Pourquoi lutter? Amgigh ne voudra plus de toi. Pareil pour Samig. De plus, voudrais-tu maudire Amgigh en étant sa femme après avoir couché avec ton propre frère?
Ses mots firent leur chemin dans la tête de Kiin et elle eut le cœur lourd.
Qakan avait raison. Elle portait malheur. Pour-rait-elle vivre avec Amgigh ou Samig et prendre le risque que la malédiction s'étende sur eux ?
La conscience de ce malheur s'abattit sur Kiin, la vida de toute substance, laissant son âme effritée, comme une coquille d'œuf, ne contenant que son souffle et des mots brisés.
23
Elles ne cessaient de l'observer. Leurs gloussements éloignèrent ses pensées de son travail et son couteau glissa, entaillant un autre morceau de bois. Samig ferma les yeux et creusa le dos pour soulager la tension de ses épaules. Son grand-père lui avait donné une vieille carcasse d'ikyak pour qu'il puisse se faire son propre bateau, correctement, avait précisé son grand-père, à la façon des Chasseurs de Baleines, un ikyak que les animaux marins respecteraient.
Samig tentait d'oublier l'homme qui avait possédé en premier cette carcasse d'ikyak, le chasseur qui avait confectionné la quille jointoyée, les plats-bords et les poutres de pont. Sur ce plan-là, il avait été très habile. L'armature était solide, les joints parfaitement ajustés. Pourtant, Samig ne pouvait s'empêcher de se demander si l'homme avait été bon chasseur, ou s'il avait maudit son ikyak par sa paresse et son manque de respect.
Presque toute l'armature était encore en bon état, même aux endroits où les poutres de pont étaient arrimées aux plats-bords. Les Chasseurs de Baleines ligaturaient joint à joint au moyen de fanons de baleines, et là où le bois frottait contre le bois, ils inséraient dans l'armature des plaquettes de dent d'ivoire.
— Tu vois, lui avait dit son grand-père en poussant une pièce de bois à l'aide d'un ongle, l'eau ramollit le bois et l'effrite. L'ivoire empêche la fatigue du bois.
La veille, Samig avait peint les morceaux de carcasse d'ocre, de rouge sang, mêlé à une pâte étalée ensuite avec une peau de phoque à poils durs. L'ocre protégeait le bois de la pourriture due à l'humidité et de l'attaque du sel de mer.
L'armature en bois d'un ikyak de Chasseur de
Baleines, lui avait expliqué Nombreuses Baleines, est comparable aux os d'une baleine, assemblés de façon à pouvoir bouger dans la mer, à se conformer au mouvement des vagues, à se courber avec la forte houle. Les ikyan des Premiers Hommes étaient de piètre facture, prétendait-il ; ils étaient raides et peu commodes.
Les paroles de Nombreuses Baleines s'étaient fichées dans la poitrine de Samig comme des échardes, et frottaient contre son cœur chaque fois qu'il respirait. Alors, Samig se dit que, si un garçon Chasseur de Baleines se rendait chez les Premiers Hommes pour apprendre à chasser le lion de mer, il lui faudrait peut-être apprendre à se servir de leurs ikyan. Il lui faudrait sans aucun doute abandonner sa grande lance peu commode pour utiliser leur harpon barbelé à l'équilibre délicat.
Samig glissa l'extrémité d'une poutre de pont incurvée dans son réceptacle du plat-bord. Parfait, songea Samig. Bien ajusté mais pas trop serré afin que l'articulation ne claque pas si une vague courbe
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