Madame de Montespan
repartie, ne put s’empêcher de rire. Mais il paraît aussi que, se ressaisissant, il aurait sermonné l’irrespectueuse :
— C’est votre Reine, Madame !
Mais il paraît enfin que Mme de Montespan aurait eu le dernier mot en ajoutant, en se cambrant fièrement :
— C’est la vôtre, Monsieur !
Et elle aurait pu ajouter, en posant ses mains sur une taille déjà bien arrondie, comme les aimait Louis XIV qui souffrait du complexe de la dynastie :
— Et c’est là votre enfant !
Un enfant qui naîtra le 31 mars 1670.
Ce jour-là, Louis-Auguste de Bourbon (futur duc du Maine) verra le jour. Un accouchement particulièrement pittoresque, s’il faut croire les Primi Visconti, les Bussy-Rabutin et autres indiscrets de la cour. Naturellement, tous les cancans qui circulèrent autour de cet événement, tous les potins consignés seront recueillis plus tard, beaucoup plus tard (en 1830 !) par le fantaisiste apocryphe Touchard-Lafosse dans ses Chroniques de l’OEil-de-Boeuf. S’inspirant de La France galante, des Histoires amoureuses de la cour et autres historiettes, comme un scénariste-dialoguiste, Touchard-Lafosse racontera cette naissance insolite.
Mais installons-nous, exceptionnellement, dans l’antichambre de l’OEil-de-Boeuf, et observons. N’oublions pas, cependant, d’avoir un regard fort critique :
« Mme de Montespan accoucha avant-hier dans la nuit du premier fruit de sa royale galanterie et déjà cet événement environné d’un mystère qu’on avait jugé impénétrable m’a été raconté par dix personnes. Clément, fameux accoucheur, fut amené par une dame de confiance de la marquise, qui l’avait été quérir avec un carrosse de place. Ce chirurgien arriva dans la chambre de la favorite, ayant un bandeau sur les yeux ; mais on le lui ôta, après avoir pris la précaution d’éteindre les bougies.
— Ah ! Ah ! dit Clément, qui est jovial, il paraît que je dois aller prendre l’enfant au lieu où il est, à tâtons comme on l’y a mis !
— Rassurez-vous, lui dit une voix d’homme qui sortit de dessous le rideau du lit.
— Parbleu ! Je ne crains rien ! Ne suis-je pas habitué à ces petites expéditions mystérieuses dans un temps où mes jeunes clients entrent dans le monde comme ils peuvent !
— Monsieur, répondit la voix du rideau, vous êtes ici pour faire votre métier et non pas des dissertations morales.
— J’entends bien... c’est hors de propos... mais je n’avais pas soupé quand on est venu me prendre, j’ai faim ; faites-moi, je vous prie, donner à manger en attendant que l’enfant se décide à venir.
« Le Roi (car c’était lui qui se trouvait là) sortit alors de sa cachette et alla prendre un pot de confiture et du pain, qu’il apporta à l’accoucheur.
— N’épargnez ni l’un ni l’autre, dit Sa Majesté, il y en a encore au logis.
— Je le crois, répondit Clément ; mais la cave serait-elle moins bien garnie ? Vous ne me donnez pas de vin et j’étouffe.
— Un peu de patience, je ne puis pas être à tout à la fois.
« Sa Majesté aurait pu ajouter qu’elle n’avait pas l’habitude du service.
— À la bonne heure ! reprit le chirurgien en recevant un verre que, dans l’obscurité, Louis XIV avait rempli jusqu’au bord.
— Est-ce tout ? demanda le Roi.
— Pas encore... Un second verre pour boire avec vous à la santé de la commère.
— Mais, Monsieur...
— Allons donc, l’affaire en ira mieux...
« Le Roi versa de nouveau, approcha un verre, qu’il prit sur la cheminée, de celui de Clément, et mouilla ses lèvres de quelques gouttes de vin. En ce moment un cri aigu, arraché à la marquise par le premier essor vers le monde de l’hôte impatiemment attendu, mit fin au repas de l’accoucheur et au service du Roi.
« Pendant que Clément se mettait à l’oeuvre, Mme de Montespan prit les mains de Sa Majesté, qui tant que le travail dura demandait de minute en minute si cela ne se terminerait pas bientôt. Enfin, après une heure environ de douleurs assez fortes, un gros garçon parut, à la plus vive satisfaction de notre maître, et à la plus grande renommée de M. de Montespan. Le chirurgien ayant alors demandé une bougie pour mettre ordre à certaines choses, Louis XIV s’enveloppa de nouveau dans le rideau et y demeura jusqu’au départ de Clément. Celui-ci, muni d’une bourse de cent louis, reprit gaiement son bandeau pour quitter
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