Madame de Montespan
j’ai été accueillie, je dirais presque avec enthousiasme. Le Roi a poussé la bonté jusqu’à me donner des gardes ; j’en ai toujours quatre aux portières de mon carrosse. Dans chaque ville nous avons un bal masqué et paré. M. le Dauphin est arrivé avec toute sa cour... les belles Flamandes sont venues visiter cette cour, qui fait des conquêtes en chantant et en dansant. Rien n’était comparable au dernier banquet donné à Dunkerque ; Madame était rayonnante de joie ; la Reine avait aussi un air de fête. Je crois que toutes les plus belles femmes s’étaient réunies pour orner cette fête. Jamais je n’ai vu le Roi aussi beau. Jamais l’on eût osé penser que d’aussi grands intérêts l’occupaient : galant avec toutes les femmes, respectueux au-delà de ce qu’on peut dire avec la Reine ; enfin, tout le monde a sujet d’être fort content de son voyage... La flotte du roi d’Angleterre était superbe. Madame s’est embarquée avec beaucoup de courage. Cependant, nous avons cru, toute la cour et moi, que son dernier entretien avec le Roi avait été attendrissant, car ses beaux yeux étaient chargés de pleurs. La Reine l’a tenue longtemps embrassée et ne l’a quittée que lorsque le Roi lui a dit : « Ce n’est pas une séparation éternelle, nous la reverrons bientôt. » Alors Madame a repris sa sérénité et s’est embarquée d’un air tranquille, qui nous a imposé silence sur les dangers de la mer qui nous l’enlève. La cour est restée sur le port aussi longtemps qu’on a pu se faire des signes. Tout à coup le Roi a pris la Reine par le bras, d’un côté, et moi de l’autre... »
Pas un mot de La Vallière, dans cette dépêche. Or, Louise, elle aussi, était en Flandre, mais son image s’atténuait progressivement, comme une aquarelle pâlie, alors que celle d’Athénaïs, brillante, telle une huile, pouvait sans crainte affronter les rayons de l’astre.
Une anecdote à souligner, sur le journal de bord de cette équipée flamande : la scène se tient, deux ou trois jours avant le départ de Madame, à Landrecies, une petite ville du Nord dans laquelle, vingt-sept ans plus tard, Joseph-François Dupleix – l’homme de la compagnie des Indes – verra le jour. Un incident burlesque : la crue subite d’une rivière – probablement la Sambre – qui contraint la cour à se réfugier pour la nuit dans une pauvre maison paysanne. Une méchante chambre, un seul lit.
— Quoi ! s’écrie la Reine. Coucher ici, tous ensemble ! Mais cela va être affreux !
On jette à la hâte des paillasses, des sacs, des couvertures sur le sol humide.
— Le lit sera pour vous, fit sèchement le Roi. Vous y dormirez seule ! Vous n’aurez qu’à laisser les rideaux ouverts ainsi vous nous verrez tous !
Tous, c’était Monsieur, Madame, Mlle de Montpensier, la duchesse de Créqui, la marquise de Béthune, Louise de La Vallière et... Athénaïs.
... Et l’on vit bientôt le Roi s’assoupir dans cet étrange dortoir de fortune, allongé dans la paille entre Mlle de Montpensier et Henriette d’Angleterre. À la guerre comme à la guerre.
Naturellement, cette nuit-là, le Roi ne lutina pas Henriette ! Autrefois, pourtant, on s’en souvient, elle avait été un peu de ses amours. Mais cette nuit de Landrecies fut sans doute la dernière qu’il passa tout près de sa belle-soeur. Car les événements vont se précipiter. Le 1 er juin, elle était à Douvres pour la signature du traité ; le 12 elle est de retour sur la côte française, elle a obtenu gain de cause, elle est acclamée. Le 26, la cour est revenue à Versailles... et dans la nuit du 29 au 30 juin, Madame se meurt et, après avoir reçu de Bossuet les dernières consolations de la religion, Madame est morte.
Elle avait vingt-six ans.
« O nuit désastreuse ! O nuit effroyable ! » lancera l’évêque de Condom devant toute la cour émue, réunie à Saint-Denis, pour les obsèques royales. On a dit qu’un verre de chicorée l’avait emportée. Bien des courtisans étaient persuadés, en effet, qu’elle avait été empoisonnée et que Monsieur, son mari, n’était peut-être pas étranger à cette mort subite. Fabulation ! Certes, Henriette l’avait parfois tourné en ridicule et souvent trompé, mais cela n’avait rien d’exceptionnel dans cette cour où tout le monde trompait tout le monde, où régnait la calomnie.
Le rapport d’autopsie (à l’époque on disait : le
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