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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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sapin, le dos courbé, le coude en
avant, en face des cruches et des gobelets.
    La figure anguleuse de M. Richter, avec
sa veste de chasse et sa casquette de cuir bouilli, gesticulait
sous le quinquet, dans la fumée grisâtre :
    – Voilà ces fameux Républicains,
disait-il, ces hommes terribles qui devaient bouleverser le monde,
et que l’ombre glorieuse du feld-maréchal Wurmser suffit pour
disperser. Vous les avez vus plier les reins, et allonger les
jambes ! Combien de fois ne vous ai-je pas dit que toutes
leurs grandes entreprises finiraient par une débâcle ? Mauser,
Koffel, l’ai-je dit ?
    – Eh, oui, vous l’avez dit !
répondit le mauser, mais ce n’est pas une raison pour crier si
fort. Voyons, monsieur Richter, asseyez-vous et faites venir une
bouteille de vin ; Koffel et moi nous avons payé chacun la
nôtre. Voilà le principal.
    M. Richter s’assit, et moi je m’en allai
chez nous. Il pouvait être alors sept heures ; l’allée était
balayée, les vitres remises. J’entrai d’abord dans la cuisine, et
Lisbeth, en me voyant s’écria :
    – Ah ! le voici !
    Elle ouvrit la porte de la chambre en disant
plus bas :
    – Monsieur le docteur, l’enfant est
là.
    – C’est bon, dit l’oncle assis à table,
qu’il entre.
    Et comme j’allais parler haut :
    – Chut ! fit-il en me montrant
l’alcôve ; assieds-toi, tu dois avoir bon appétit ?
    – Oui, mon oncle.
    – D’où viens-tu ?
    – J’ai été voir le village.
    – C’est bien, Fritzel ; tu m’as
donné de l’inquiétude, mais je suis content que tu aies vu ces
misères.
    Lisbeth vint alors m’apporter une bonne
assiettée de soupe, et tandis que je mangeais, l’oncle
ajouta :
    – Tu connais la guerre, maintenant.
Souviens-toi de ces choses, Fritzel, pour les maudire. C’est une
bonne instruction ; ce qu’on a vu jeune nous reste toute la
vie.
    Il se faisait ces réflexions à lui-même ;
moi, j’allais toujours mon train, le nez dans mon assiette. Après
la soupe, Lisbeth me servit des légumes et de la viande ; mais
au moment où je prenais ma fourchette, voilà que j’aperçois, assis
près de moi sur le plancher, un être immobile qui me regardait.
Cela me saisit.
    – Ne crains rien, Fritzel, me dit mon
oncle en souriant.
    Alors je regardai, et je reconnus que c’était
le chien de la cantinière. Il se tenait là gravement, le nez en
l’air, les oreilles pendantes, m’observant d’un œil attentif à
travers ses poils frisés.
    – Donne-lui de tes légumes, et vous serez
bientôt bons amis, dit l’oncle.
    Il lui fit signe d’approcher ; le chien
vint s’asseoir près de sa chaise, et parut bien content des petites
tapes que l’oncle lui donnait sur la tête. Il lapa le fond de mon
assiette, puis se remit à me regarder d’un air grave.
    Vers la fin du souper, j’allais me lever,
quand des paroles confuses s’entendirent dans l’alcôve. L’oncle
prêtait l’oreille ; la femme parlait extrêmement vite et bas.
Ces paroles confuses, mystérieuses, au milieu du silence, m’émurent
plus que tout le reste ; je me sentis pâlir. L’oncle, le front
penché, me regardait, mais sa pensée était ailleurs : il
écoutait. Le chien venait aussi de se retourner.
    Dans la foule des paroles que disait cette
femme, quelques-unes étaient plus fortes.
    – Mon père… Jean… tués… tous… tous… la
patrie !…
    En regardant l’oncle, je voyais qu’il avait
les yeux troubles et que ses joues tremblaient. Il prit la lampe
sur la table et s’approcha du lit. Lisbeth entrait pour
desservir ; il se retourna et lui dit :
    – Voici que la fièvre commence.
    Puis il écarta les rideaux ; Lisbeth le
suivit. Moi je ne bougeais pas de ma chaise ; je n’avais plus
faim. La femme se tut un instant. Je voyais l’ombre de l’oncle et
celle de Lisbeth sur les rideaux ; l’oncle tenait le bras de
la femme. Le chien était avec eux dans l’alcôve. Moi, seul dans la
salle noire, j’avais peur. La femme se mit à parler plus
haut ; alors il me sembla que la salle devenait plus noire, et
je me rapprochai de la lumière. Mais au même instant, quelque chose
parut se débattre ; Lisbeth, qui tenait la lampe, recula, et
la femme toute pâle, les yeux ouverts, se dressa en
criant :
    – Jean… Jean… défends-toi…
j’arrive !
    Puis elle ouvrit la bouche, jeta un grand
cri : « 
Vive la République !
 » et
retomba.
    L’oncle ressortit, bouleversé,

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