Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
pour les rhumes
aussi.
– Ah ! oui, et pour toutes sortes de
maladies. Comment va le rhumatisme de M. le curé, mademoiselle
Oursoula ?
– Eh ! Seigneur Dieu ! comment
peut-il aller ? Tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Hier
c’était dans l’épaule, aujourd’hui c’est dans les reins. Ça voyage.
Toujours souffrant, toujours souffrant !
– Ah ! j’en suis désolée…
désolée !
– Mais à propos, mademoiselle Lisbeth,
vous allez dire que je suis bien curieuse, mais on en parle dans
tout le village : votre dame française est toujours
malade ?
– Ah ! mademoiselle Oursoula, ne
m’en parlez pas ; nous avons eu une nuit… une nuit !…
– Est-ce possible ? Comment !
cette pauvre dame ne va pas mieux ? Que me dites-vous
là ?
Et l’on joignait les mains, et l’on se
penchait d’un air de commisération, et l’on roulait les yeux en
balançant la tête.
Les deux premiers jours, l’oncle, pensant que
cela finirait lorsque la curiosité de ces gens serait satisfaite,
ne dit rien. Mais voyant que cela se prolongeait, un beau matin que
la femme avait beaucoup de fièvre, il entra brusquement dans la
cuisine, et dit à ces vieilles, d’un ton de mauvaise
humeur :
– Que venez-vous faire ici ?
Pourquoi ne restez-vous pas chez vous ? N’avez-vous pas
d’ouvrage à la maison ? Vous devriez rougir de passer ainsi
votre existence à bavarder, comme de vieilles pies, à vous donner
des airs de grandes dames, quand vous n’êtes que des
servantes ! C’est ridicule, et cela m’ennuie beaucoup.
– Mais, dit l’une d’elles, je viens
acheter un pot de lait.
– Faut-il deux heures pour acheter un pot
de lait ? répondit l’oncle vraiment fâché. Lisbeth, donne-lui
son pot de lait, et qu’elle s’en aille avec les autres. Je suis las
de tout cela. Je ne souffrirai pas qu’on vienne m’épier, et prendre
de fausses nouvelles chez moi, pour les répandre dans tout le pays.
Allez, et ne revenez plus.
Les commères s’en allèrent toutes
honteuses.
Ce jour-là, l’oncle eut encore une grande
discussion. M. Richter s’étant permis de lui dire qu’il avait
tort de s’intéresser à des étrangers, venus dans le pays pour
piller, et surtout à cette femme, qui ne devait pas être
grand-chose, puisqu’elle avait suivi des soldats ; il l’écouta
froidement, et finit par lui répondre :
– Monsieur Richter, quand j’accomplis un
devoir d’humanité, je ne demande pas aux gens : « De quel
pays êtes-vous ? Avez-vous les mêmes croyances que moi ?
Êtes-vous riches ou pauvres ? Pouvez-vous me rendre ce que je
vous donne ? » Je suis les mouvements de mon cœur, et le
reste m’importe peu. Que cette femme soit française ou allemande,
qu’elle ait des idées républicaines ou non, qu’elle ait suivi des
soldats par sa propre volonté, ou qu’elle ait été réduite à le
faire par besoin, cela ne m’inquiète pas. J’ai vu qu’elle allait
mourir, mon devoir était de lui sauver la vie ; et maintenant
mon devoir est de continuer, avec la grâce de Dieu, ce que j’ai
bien fait d’entreprendre. Quant à vous, monsieur Richter, je sais
que vous êtes un égoïste, vous n’aimez pas vos semblables ; au
lieu de leur rendre service, vous cherchez à tirer d’eux des
avantages personnels. C’est le fond de votre opinion sur toutes
choses. Et comme de telles opinions m’indignent, je vous prie de ne
plus mettre les pieds chez moi.
Il ouvrit la porte, et M. Richter ayant
voulu répliquer, sans l’entendre il le prit poliment par le bras et
le mit dehors.
Le mauser, Koffel et moi nous étions présents,
et la fermeté de l’oncle Jacob en cette circonstance nous étonna,
car jamais nous ne l’avions vu plus calme et plus résolu.
Il ne conserva que le mauser et Koffel pour
amis ; chacun à son tour veillait près de la femme, ce qui ne
les empêchait pas d’aller à leurs affaires pendant la journée.
Dès lors la tranquillité fut rétablie chez
nous.
Or, un matin, en m’éveillant, je vis que
l’hiver était venu ; sa blanche lumière remplissait ma petite
chambre ; de gros flocons de neige descendaient du ciel par
myriades, et tourbillonnaient contre mes vitres. Dehors régnait le
silence, pas une âme ne courait dans la rue, tout le monde avait
tiré sa porte, les poules se taisaient, les chiens regardaient du
fond de leurs niches, et dans les buissons voisins, les pauvres
verdiers, grelottant sous leurs plumes
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