Mademoiselle
bonne ?
Ce n'était rien encore. Persuadée de sa force, elle écrivit à la reine une lettre à la limite de l'impertinence. Elle embrasserait le parti du roi, oui, mais il fallait lui promettre la couronne de France. Ulcérée de n'avoir pas de réponse d'Anne d'Autriche, elle lui écrivit de nouveau, cette fois sans retenue.
Elle avait, affirmait-elle, toujours haï le cardinal, qui l'avait toujours mal traitée. Elle seule avait empêché les troupes royales d'entrer dans Orléans. Ses partisans, Condélui-même, ne cessaient de lui parler de son destin de reine. Elle pourrait se rendre utile à Louis. À condition d'être satisfaite. Sinon, elle mettrait les choses en état qu'on vînt la chercher à genoux.
Ces deux lettres, rédigées avec une grande facilité de plume et beaucoup d'esprit, choquèrent la reine.
— Quelle audace ! Je ne puis plus souffrir ma nièce, se plaignit-elle quelques semaines plus tard à la Motteville. Juste au moment où ce diable de Condé vient de battre Turenne et l'armée de mon fils. Que tout va mal !
De fait, Condé revenait dans la capitale en vainqueur. Sa mission remplie à Orléans, Anne-Louise partit le rejoindre. Il l'accueillit le 4 mai au Bourg-la-Reine. Beaufort l'accompagnait. Ils lui redirent leur souhait de la voir reine de France. Le peuple de Paris, excédé des privations et des combats incessants, sortit en procession la châsse de sainte Geneviève et demanda à la sainte, au lieu de pluie comme à l'ordinaire, le départ du Mazarin. Quel bon peuple !
Au Luxembourg, en revanche, la jeune fille trouva l'enthousiasme de son père refroidi. Elle pensa qu'il était las de la guerre. Elle ne savait pas que sa belle-mère complotait avec le duc de Lorraine, son frère, pour qu'il apportât son soutien armé à Mazarin.
Enfin, elle pénétra dans ses appartements, aux Tuileries. Heureuse, victorieuse ! Dans la foule qui envahissait la grande salle, elle distingua sa tante d'Angleterre flanquée de Charles, et s'en approcha. Connaissant leur fidélité au parti de la cour, elle se doutait qu'ils ne la féliciteraient guère.
Un cercle de curieux se forma peu à peu autour du trio. Qu'allaient-ils se dire ? À son habitude, Charles demeura muet.
Mais, dans le silence général, la reine d'Angleterre, avec un regard glacial pour sa nièce, laissa tomber :
— Vous voulez vraiment copier la Pucelle, l'ennemie de notre peuple. Comme elle, vous avez pris Orléans et vous avez chassé l'Anglais de chez vous.
Les spectateurs ricanèrent. Anne-Louise en resta sans voix.
9
La porte Saint-Antoine
— Mademoiselle, n'abandonnez pas le prince de Condé. Il vous en supplie.
Elle reprit ses esprits. Six heures du matin. Elle se trouvait chez elle, à Paris, ce mardi 2 juillet 1652. Fiesque, l'air affolé, se tenait debout au pied de son lit.
La capitale était en état de siège. Après bien des combats incertains et meurtriers, les troupes fratricides de Condé et du roi se tenaient au-delà des remparts, prêtes à s'affronter pour pénétrer dans la ville. Laquelle y entrerait, victorieuse ?
Les portes de Paris étaient fermées aux hommes valides. On n'admettait que les mourants. Louis, des hauteurs de Charonne où il suivait les combats, avait ordonné aux gens de l'hôtel de ville d'empêcher l'entrée de Condé et des siens à l'intérieur de la capitale.
Au lever du jour, Fiesque s'était faufilé jusqu'aux Tuileries pour avertir Anne-Louise du grand péril où se trouvait le prince.
— Il a été refoulé à la porte Saint-Denis, à la porte Saint-Honoré. Maintenant il conduit ses partisans vers le faubourg Saint-Antoine. L'armée royale les poursuit et en tue beaucoup. Il faut agir. J'ai prévenu votre père. Mais il est souffrant et ne peut rien.
Bouleversée, Anne-Louise partit à cheval au Luxembourg. Gaston l'attendait en haut des marches.
— Je vous croyais malade ?
— Pas assez pour rester dans mon lit. Assez pour ne pas sortir.
— Je vous en supplie, mon père, puisque vous voilà debout, sauvez nos amis. Songez à tous ceux qui sont en train de mourir en ce moment même.
Elle en avait les larmes aux yeux. Le duc demeura impassible dans sa robe de chambre de taffetas mordoré. Autour d'elle les gens de Gaston ricanèrent quand elle évoqua les périls courus par Condé : « Dans des occasions comme celles-ci, se sauve qui peut. »
Et Retz, qui voulait se dégager d'un parti qu'il jugeait perdu, rassurait faussement
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