Mademoiselle
prétendantes à la couronne de France et leurs mérites. Elle trouvait que Mademoiselle, depuis ses malheurs, avait perdu de sa brusquerie et de sahauteur, et l'en appréciait davantage. Elle la plaignait et l'écoutait volontiers.
Un après-midi, les deux femmes se promenaient dans le jardin de Renard. La reine, malade, était restée dans sa chambre.
— Je ne me résigne pas, confia la princesse à sa compagne. Je souffre sans cesse d'avoir perdu l'espérance du trône de France. Est-ce que je ne compte pas dans ce royaume ? Ne suis-je pas la plus riche héritière d'Europe ? J'ai blessé ma tante, je le sais. Mais le cardinal, soucieux de la raison d'État, ne peut oublier qui je suis et ce que je vaux. Ne le croyez-vous pas, ma bonne ?
Alors Mme de Motteville n'y tint plus. Malgré son âge, Anne-Louise était vraiment trop naïve. Il fallait l'éclairer. Pour son bien même.
— Vous auriez tort, Mademoiselle, de vous fier au cardinal. Surtout pour vous marier. Il est encore plus rancunier que la reine.
La jeune femme s'immobilisa dans l'allée pour mieux écouter. La bonne Motteville continuait, d'une voix posée :
— Après votre affaire de Saint-Antoine, quand vous avez fait tirer le canon sur les troupes royales, nous étions réunies, un soir, la reine et moi auprès de Mazarin et du petit roi. Nous ressassions ces tristes événements, effondrées, désolées de ces divisions familiales. Le cardinal a coupé court à nos lamentations et, d'un ton sans réplique, a déclaré : « Ce qui est fait est fait. Mais souvenez-vous-en, Louis, souvenez-vous-en toujours : ce canon-là a tué le mari de Mademoiselle. »
Anne-Louise fut anéantie. Tout tournait autour d'elle, le visage de la Motteville, plus loin, la Seine, les Tuileries.
— Vraiment ? parvint-elle tout juste à articuler.
Et, pour ne pas se donner en spectacle, elle marcha rapidement en direction de son carrosse, soutenue par deuxde ses femmes. Là, pétrifiée de douleur, elle demeura de longues minutes sans bouger, remâchant les mots qu'elle venait d'entendre, incapable de donner à son cocher l'ordre de partir.
Mme de Motteville, sur le point de s'en aller, s'inquiéta de voir le carrosse de Mademoiselle toujours immobile, mais n'osa pas intervenir.
Au Louvre, elle raconta fébrilement la scène à la reine et lui confia son inquiétude.
— Je ne lui voulais pas de mal. Ai-je été trop bavarde ? J'ai dû la blesser.
— Calmez-vous, ma chère. Il n'est pas mauvais qu'elle sache en quelles dispositions Louis et le cardinal la tiennent. Elle se troublait moins quand elle leur fermait le passage d'Orléans ou faisait tirer sur leur armée. Il n'est pas mauvais, non plus, qu'à son âge elle se défasse de ses imaginations d'enfance. Elle regrette de ne pas se marier avec mon fils. Eh bien, elle n'est pas au bout de ses peines. Elle va souffrir cruellement dans les temps à venir.
La reine ne se trompait pas. Anne-Louise n'allait cesser de se torturer au cours du voyage entrepris par la cour, deux mois juste après son trente-deuxième anniversaire. Une déambulation interminable à travers la France, dans un formidable étalage de richesses, une profusion de carrosses, de malles pleines de vêtements et d'accessoires.
— Un véritable chemin de croix pour moi, avoua la princesse à Mme de Montglas.
Cécile était à nouveau avec elle. Cécile, la folle complice de sa jeunesse... Trop heureuse d'avoir une occasion de s'éloigner de son époux, elle s'était proposée comme compagne de voyage. Anne-Louise avait aussitôt accepté, elle lui rappelait les fous rires de ses dix-huit ans.
— Un chemin de croix ? Pourquoi donc, ma bonne ?On peut être fier de participer à une aussi royale promenade, d'accompagner le roi dans ses provinces. L'on dit que la paix avec les Espagnols est au bout du chemin et qu'on pourrait signer le traité de paix sur la frontière, au pied des Pyrénées. Une...
— Vous vous doutez bien que le chemin sera très long, coupa Anne-Louise avec vivacité. Les négociations menacent d'être interminables entre Mazarin et le premier ministre espagnol. Et puis, ne faites pas l'innocente. Vous le savez. On le murmure partout. Au bout du chemin, il y aura aussi le mariage du roi avec l'infante d'Espagne. Quel meilleur gage de paix ? continua-t-elle avec amertume.
Dans son carrosse d'apparat qui filait bon train vers le sud de la France, revêtue d'un somptueux habit de voyage en drap fin de
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