Mademoiselle

ne mentionna dans son testament que ses médailles, ses livres et ses oiseaux, qu'il léguait au roi. Quant à sa veuve, profitant de l'absence d'Anne-Louise, elle courut incognito à Paris tenter de récupérer l'appartement que sa belle-fille occupait au palais du Luxembourg.
    Mais, sitôt son père disparu, la princesse avait rappelé Préfontaine à son service. Avec lui, les choses ne traînèrent pas. En l'absence d'héritier mâle, l'apanage du duc d'Orléans revenait de droit à la couronne. En revanche, Mademoiselle, en tant qu'aînée des filles, devenait la maîtresse du Luxembourg. Sa seule obligation était d'y réserver un logement à ses deux demi-sœurs.
    La duchesse devait se conformer aux clauses de son contrat de mariage, qui lui assignaient de loger, en cas deveuvage, à Montargis et à Limours. À la rigueur, si elle voulait résider au Luxembourg, ce ne pouvait être que chez ses filles et grâce à elles.
    Malgré son chagrin, Anne-Louise ne se priva pas de critiquer sa belle-mère.
    — Dire qu'elle a quitté Blois en cachette pour se rendre à Paris ! À quelques jours de la mort de mon père... Je suis horriblement choquée qu'elle n'ait pas respecté l'étiquette. Après la mort d'un époux, on se doit de rester quarante jours sans sortir, dans une chambre tendue de noir.
    La distance empêcha Anne-Louise d'assister aux funérailles de son père. Qu'importe. Elle décida de les célébrer sur place et de marquer, avec éclat, son deuil. Elle n'était pas fâchée non plus d'étaler les richesses de la plus riche héritière d'Europe face à une cour de France qui s'évertuait à faire bonne figure devant ses sujets et se préparait laborieusement à rivaliser avec le faste des Espagnols.
    Comme elle n'aimait pas le noir, elle ordonna de tendre de gris l'appartement qu'elle occupait à Aix-en-Provence, de vêtir du même drap gris tous ses gens, officiers de bouche et de maison, gardes du corps, cochers, palefreniers, messagers, jusqu'aux marmitons et aux valets de ses valets. Pour les carrosses, les couvertures des mules, les caparaçons des chevaux, du gris, rien que du gris. Elle fit défiler avec somptuosité cet équipage et ses serviteurs en procession dans les rues d'Aix.
    Ses femmes et ses lingères préparèrent pour elle plusieurs habits de ville et de campagne en drap de Cambrai gris, rehaussés de cols ou de poignets de fourrure rares, ainsi que des chapeaux assortis ornés de quantité de plumes blanches.
    Quand Louis revint de Toulon lui porter ses condoléances, il n'était bruit dans la ville que de la piété filiale et de la grandeur de la cousine du roi. Elle en fut satisfaite. Elle au moins savait tenir son rang...

18
    Lauzun
    À Saint-Jean-de-Luz, en ce début de juin 1660, la cour était en effervescence. Malgré son humeur chagrine, Anne-Louise voulut se rendre à Hendaye pour voir, avant les autres, l'île des Faisans, dans l'estuaire de la Bidassoa. Les souverains de France et d'Espagne devaient y signer la paix. Son cousin Philippe l'accompagnait. Ils avaient l'habitude du luxe et de la magnificence. Ils furent éblouis.
    — Voyez, ma cousine, ce pont tapissé comme une galerie de château. Il y a le même en face, chez les Espagnols. Ces ponts conduisent à la salle de la conférence.
    — Dieu, que cette salle est richement ornée ! Deux portes en vis-à-vis, drapées aux armes des deux royaumes, deux tables au milieu, recouvertes de tapis différents. Satin violet à fleurs de lys d'or pour nous, naturellement, remarqua Mademoiselle. On les a rapprochées pour n'en faire qu'une.
    — Quelles tapisseries admirables, renchérit Philippe.De Perse à fond d'or et d'argent du côté de l'Espagne, de velours cramoisi, chamarré de galons or et argent de notre côté.
    — Les cornets pour l'encre des deux écritoires jumelles sont en or. Les horloges sur chaque table aussi.
    Au retour, l'excitation d'Anne-Louise tomba. Elle dut vérifier avec sa tante le cadeau de Louis à l'infante, un coffret de bois précieux garni de bijoux et de diamants, de montres, de gants, de miroirs, de chapelets, de boîtes à mouches, de croix, d'étuis précieux pour les ciseaux, les couteaux, les cure-dents. Le coffret de mariage de la reine de France, le coffret qu'elle aurait tant aimé recevoir. Le coffret que son rang lui imposait de remettre en personne à la mariée ! La jalousie lui serra la gorge.
    À partir de ce moment, rien ne trouva grâce à ses yeux. Surtout pas