Marc-Aurèle
apparut, après trois jours, ressuscité alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à son sujet. Et le groupe appelé chrétiens n’a pas encore disparu. »
« Nous ne disparaîtrons jamais », a conclu Eclectos.
Son visage était radieux.
Mais le doute était enraciné en moi.
Pourquoi Flavius Josèphe, ce juif savant qui n’avait jamais renié sa foi, même s’il s’était mis au service de Vespasien et de Titus, ennemis de son peuple, eût-il reconnu que cet homme, Jésus, était Christos, fils de Dieu ? Et s’il l’avait cru et écrit, pourquoi n’était-il pas lui aussi, comme tant d’autres Juifs, devenu chrétien ? Pourquoi s’était-il obstiné à ne pas croire en la divinité et en la résurrection du Christ ? Il y avait, dans l’entourage de Titus, des chrétiens qui l’eussent accueilli et protégé.
Mais il avait refusé la nouvelle foi et défendu celle de son peuple. Et sans doute avait-il été l’une des victimes des persécuteurs de Domitien qui avait ordonné de supplicier les Juifs comme les chrétiens, surtout s’ils avaient appartenu à sa famille ou à l’entourage de son frère, Titus. Ainsi avait péri Flavius Clemens, son cousin.
J’ai fait part de mes doutes à Eclectos.
Il n’en a pas paru surpris.
« Tu ne vois pas encore le soleil, Priscus, a-t-il dit. Il suffit d’un voile dans le ciel pour que ton esprit nie qu’il y a le jour et la lumière.
— Flavius Josèphe est demeuré fidèle à sa foi, ai-je répondu. Il a nommé le Christ, prétends-tu, mais il n’a pas rejoint les chrétiens. Dis-moi pourquoi, Eclectos !
— Dieu choisit ceux qu’il veut sauver. »
J’ai eu un mouvement d’impatience mais, d’un geste dont la vivacité m’a surpris, Eclectos m’a empoigné l’avant-bras comme pour m’éviter de prononcer des paroles sacrilèges ou d’esquisser un geste de défi.
« Dieu donne à chacun l’occasion de montrer qu’il mérite d’être sauvé », a-t-il ajouté.
Ses doigts ont enserré mon poignet comme l’anneau d’une chaîne.
« Et toi, Julius Priscus, le mérites-tu ? »
TROISIÈME PARTIE
16
Comment savoir ce que ce Dieu unique et silencieux attendait de moi ?
J’ai interrogé plusieurs fois Eclectos, mais il s’est contenté de sourire, de murmurer que, puisque je posais cette question, la réponse était déjà en moi comme une graine dans la terre humide et grasse, avant le printemps.
Je cueillerais bientôt l’épi.
Un matin, je me suis penché vers Eclectos, mais j’ai refusé, alors qu’il m’y conviait, de m’asseoir auprès de lui.
Je ne voulais plus me soumettre à sa loi. Il n’était qu’un vieux Grec habile à tresser des phrases, à nouer des mots autour de ma gorge pour m’empêcher de lui répliquer. C’était un magicien, un astrologue, un devin, comme tous les prêtres qui servaient les dieux de Rome. Mais il avait préféré choisir ce Dieu nouveau dont il se faisait l’apôtre, sans doute pour son plus grand profit.
J’étais en rage. Mon visage frôlait le sien. Je brandissais les poings. J’avais envie de marteler ses yeux pour que s’y éteignît son regard plein d’attention, de tendresse mais aussi d’ironie.
J’ai commencé à lui raconter la nuit que je venais de vivre, couché entre les corps nerveux et chauds, doux comme des coussins remplis de plumes, de deux jeunes esclaves – deux vierges arrivées la veille de Phrygie et que Sélos avait achetées pour moi au marché aux esclaves de Capoue.
« Sélos, ai-je répété, tu le connais ? C’est un homme de ta secte, un chrétien comme toi. Mais c’est aussi mon affranchi, mon chien, mon rabatteur, qui sait flairer et débusquer le gibier que j’aime. Est-ce qu’il mérite d’être sauvé ? Est-ce qu’il agit en chrétien ? Qui le fait ? »
Je me suis emporté contre ce Dieu qui laissait les hommes se conduire à leur guise. Ils massacraient et soumettaient des peuples. Ils vendaient enfants et femmes comme esclaves.
« Sélos, ton frère dans la foi du Christ, achète les plus jeunes et les plus belles des vierges pour que je satisfasse mon désir. Pourquoi ton Dieu permet-Il ainsi que nous nous livrions aux plaisirs de la chair ? Veut-Il que nous vivions comme toi, vieillard qui te nourris d’une poignée d’amandes et d’un peu d’eau ? »
Je me suis approché de lui, mon front contre le sien.
« As-tu été choisi,
Weitere Kostenlose Bücher