Marc-Aurèle
conduisirent le faux prophète à Marc Aurèle, je vis l’empereur hésiter à punir cet homme qui avait pourtant avoué sa supercherie.
Je m’indignai qu’il le libérât.
« Ne juge pas comme juge l’homme qui t’insulte et comme il voudrait que tu juges, me dit Marc Aurèle. Vois les choses comme elles sont en vérité. »
La plèbe avait besoin de recourir aux dieux, aux mages, aux prêtres, quels qu’ils fussent.
Je ne m’étais pas étonné que Marc Aurèle ne fit pas appel aux chrétiens et aux Juifs.
Ceux-là croyaient en un Dieu unique, non aux divinités protectrices de l’Empire.
Ceux-là se réjouissaient même que les châtiments vinssent frapper la nouvelle Babylone.
Les Juifs, qui portaient dans leur chair la plaie ouverte de Jérusalem, espéraient que Rome serait détruite comme l’avaient été par Titus leur ville et leur Temple.
Les chrétiens pensaient que, puisque l’Empire refusait de reconnaître Christos, il ne pouvait qu’être condamné.
J’écris cela aujourd’hui sans réussir à me souvenir si, moi aussi, comme la plèbe, j’ai souhaité qu’on extirpât des quartiers de Rome ces croyants qui refusaient de demander à leur Dieu de protéger l’Empire.
Peut-être même ai-je pensé que, de par leur impiété, ils outrageaient les dieux de Rome et attiraient le malheur sur l’Empire.
Puis la guerre vint.
Les nations barbares s’ébranlèrent et se lancèrent à l’assaut du mur dressé par l’empereur Hadrien le long des frontières de l’Empire.
La plèbe s’insurgea quand Marc Aurèle décida, pour faire face à ces assauts des Parthes, des Marcomans, des Quades, des tribus germaniques, d’enrôler dans les légions les gladiateurs.
« L’empereur veut nous ôter notre seul plaisir, entendis-je crier. Il nous prive de nos droits. Ces jeux nous sont dûs parce que nous sommes citoyens romains, que nous voulons voir combattre et mourir dans l’arène ceux qui sont payés pour cela, ou ceux qui doivent succomber parce qu’impies, meurtriers de nos dieux, égorgeurs et dévoreurs d’enfants ! »
J’ai quitté Rome pour me battre aux côtés des deux empereurs, Marc Aurèle et son frère Lucius Vérus.
Je ne sais si je raconterai ces combats contre les Quades et les Marcomans. Le choc des glaives sur les boucliers, les cris des tribuns et des centurions incitant leurs soldats à s’élancer, les gémissements des mourants, l’odeur de sang et de mort qui couvre les champs de bataille, les loups et les chiens errants qui attendent le bon moment pour lacérer les cadavres, se sont répétés à chacune des batailles auxquelles j’ai participé et dont je ne sais plus aujourd’hui où elles ont eu lieu ni qui au juste les a gagnées.
À la fin, les Barbares ont été repoussés. Mais la peste s’est répandue dans Rome avec le retour des soldats et des prisonniers devenus leurs esclaves. Il a suffi de quelques jours pour que les morts s’entassent à nouveau dans les rues, car l’épidémie, frappant en sauvage, était une tueuse plus cruelle encore que les crues du Tibre. Par monceaux on chargeait les cadavres dans les voitures et les chariots.
J’ai admiré la sagesse de Marc Aurèle qui interdit qu’aucun citoyen de Rome pût ériger des tombeaux où bon lui semblait. Les corps des pestiférés étaient maléfiques, il fallait les brûler ou les ensevelir en des lieux écartés. Il en décida ainsi mais fit payer par l’État les frais des funérailles des plus pauvres et dresser des statues pour les nobles qui avaient succombé.
J’admirais surtout que Marc Aurèle fit face aux calomnies avec sérénité.
Son frère Lucius Vérus étant mort, on l’accusa de l’avoir empoisonné. J’étais auprès de l’empereur quand les délateurs lui rapportèrent les rumeurs qui se colportaient dans Rome. On prétendait qu’il avait donné à manger à son frère la partie contaminée d’une vulve de truie, coupée en deux avec un couteau dont la lame avait été d’un côté enduite de poison, et que lui-même en avait consommé la partie saine.
D’autres l’accusaient d’avoir ordonné à son médecin de pratiquer sur Lucius Vérus une saignée mortelle.
Il écouta. Il eut des paroles de mépris pour les délateurs, leur interdisant de jamais reparaître devant lui.
Mon visage avait dû exprimer l’étonnement et l’admiration. Il eut alors un sourire las :
« Priscus, quand le concombre est amer,
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