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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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gauche, l’autre le droit, pour que leurs doigts se touchent.
    Ils pourraient se serrer la main.
    Et le sort du monde en serait changé.
    Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ?
    Pourquoi l’empereur a-t-il persécuté le chrétien ?
    Pourquoi ce gouffre entre eux deux, qui les a empêchés de se rejoindre ?
    Eclectos a-t-il raison d’espérer qu’un jour viendra où un empereur prendra la main du chrétien et qu’ils avanceront du même pas ?
    Ou bien est-ce une illusion ? Le gouffre restera-t-il toujours béant, ses ténèbres aussi profondes ?
     
    Je me penche, sonde cette blessure du monde.
    Dressée dans la pénombre, j’y vois la croix sur laquelle est cloué le corps de Christos, flagellé et supplicié comme celui d’un esclave.
    Marc Aurèle, empereur et citoyen romain, pouvait-il admettre que le Dieu unique soit mort à l’instar d’un esclave ?
    Voulait-il un Dieu glorieux, puissant, digne de la grandeur de Rome ?
    Mais Marc Aurèle pensait aussi que l’esclave était un homme et que le maintenir dans la condition de bête parlante était une violation de la loi de la nature.
    Il pouvait donc comprendre qu’un Dieu nouveau, en choisissant de mourir comme le plus méprisé des hommes, ait voulu proclamer que l’esclave méritait le respect que l’on doit à un Dieu, que le corps supplicié avait une âme.
    Et que c’est ce corps-là, martyr, qui ressusciterait.
    Voilà ce qui gisait au fond du gouffre, cette espérance de la résurrection.
     
    Mais ce mot d’espérance, je ne l’ai jamais entendu prononcer par Marc Aurèle.
    Il le repoussait. Il s’en gardait comme d’une illusion, d’une faiblesse.
    La vie, la mort ?
    On passe de l’une à l’autre. Pourquoi fonder une nouvelle religion sur la croyance en la résurrection ?
     
    Alors que nous marchions parmi les morts, dépouilles de Romains et de Quades entremêlées sur les berges du Danube, Marc Aurèle m’a dit, après m’avoir dévisagé, jugeant sans doute que la peur et l’angoisse m’étreignaient :
    « Celui qui craint la mort, craint ou bien l’insensibilité, ou bien une sensibilité différente. »
    Il a posé sa main droite sur mon épaule cependant que de la gauche il balayait le champ jonché de cadavres.
    « Si l’on ne sent plus rien, on ne sentira pas non plus de mal ; si l’on a un nouveau mode de sentir, on sera un vivant d’une sorte nouvelle, et on ne cessera pas de vivre. Aucun Dieu ne renaît du tombeau. Aucun mort n’accède à la Vie éternelle après la résurrection, dans et par l’amour de Christos. Tout ce qui advient, Priscus, est aussi ordinaire et connu d’avance qu’une rose au printemps ou que les fruits en été : tels sont la maladie, la mort, le blasphème, la ruse, et tout ce qui réjouit ou peine les sots… »
    Il a lâché mon épaule et s’est remis à marcher en évitant de trébucher sur les morts.
    « Au total, Priscus, a-t-il repris, la vie est courte. Tout passe en un jour, ce qui se souvient comme ce dont on se souvient. »

 
     
34
    « Tout passe en un jour », a répété Marc Aurèle.
    Pourtant, rien ne passe vraiment, puisque je me souviens.
     
    Je revois l’empereur du genre humain.
    Marc Aurèle est assis sous la tente impériale, dans le camp des légions dressé en Pannonie, sur les bords du Danube, non loin de la ville de Carnuntum. Il se tient dans une pose qui lui est familière : le buste penché en avant, les jambes légèrement écartées, les coudes posés sur les cuisses, les avant-bras levés, les doigts entrecroisés, les pouces appuyés à ses lèvres.
    Il parle bas, dans un presque murmure.
    Sa voix est souvent couverte par les commandements des centurions, le roulement des tambours, l’éclat des trompettes et, venu de loin, de l’autre rive du Danube, les cris des guerriers quades qui s’apprêtent une fois encore à franchir le fleuve et à tenter de prendre pied sur notre berge.
    Je scrute les visages des hommes assis sous la tente autour de l’empereur.
    Ils sont arrivés de Rome il y a quelques jours à la demande de Marc Aurèle.
    L’inquiétude et la peur déforment leurs traits.
    Hérode Atticus se ronge les ongles, Junius Rusticus respire bruyamment comme s’il étouffait. Fronton écrase ses doigts sur ses joues, sur sa bouche. Claudius Severus grimace, les lèvres pincées. Proculus tire le lobe de son oreille, puis se frotte le menton.
    Ils ne connaissent la guerre que par les livres qu’ils ont lus, les

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