Marc-Aurèle
sont succédé les jours jusqu’à ce 3 août où ont été poussés et questionnés dans l’arène Blandine et Ponticus.
Ils avaient assisté, entravés, à tous les supplices de leurs frères et sœurs. Ils savaient ce qu’ils allaient subir. Voulaient-ils enfin reconnaître les dieux de Rome, renier leur foi ? Qu’ils rejettent Christos, ainsi ils seraient libres !
La plèbe grondait, craignant sans doute qu’ils renonçassent à leur foi, privant ainsi ce dernier jour du plus beau des spectacles : le supplice d’une frêle jeune femme au corps nu et de ce Ponticus qui ressemblait à un enfant.
Ils refusèrent, Blandine exhortant Ponticus à supporter les souffrances, lui rappelant que Christos offrait la résurrection et la Vie éternelle.
Et lorsqu’il expira au bout de la spina , Blandine se redressa.
Elle était seule dans l’arène, dernière des chrétiens, semblant impatiente de rejoindre ses frères et sœurs en Christos.
Blandine marche de supplice en supplice. Je la devine pleine de hâte, fière et allègre, ne paraissant pas ressentir la souffrance, suscitant par son attitude la fureur de la foule.
On la flagelle et son corps nu est strié de lignes de sang.
On fait entrer les fauves. Ils la flairent, lui donnent quelques coups de pattes. Elle tombe. La foule se lève, attend qu’ils la dévorent, mais les fauves se contentent de la traîner, puis l’abandonnent.
Il faut en finir.
On jette sur Blandine un filet. On lâche un taureau qui se précipite sur cette chair sanglante, la saisit entre ses cornes, la lance en l’air, la piétine, la projette à nouveau. Puis se détourne.
Blandine est morte.
Près de moi, le tribun Clemens se penche vers le légat impérial.
Je me souviens du dégoût que j’ai éprouvé en l’entendant dire à Martial Pérennis :
« On a été trop doux. Il faudrait à l’avenir inventer des châtiments plus sévères. »
Je me suis levé. J’ai quitté la galerie de l’amphithéâtre, regagné la chambre plongée dans la pénombre.
Après que les esclaves eurent apporté des lampes, j’ai aperçu Doma recroquevillée.
Il me semble que c’est à cet instant que j’ai éprouvé pour elle plus que du désir.
J’ai tendu la main. J’ai caressé ses cheveux dont les longues mèches lui cachaient le visage.
Elle a relevé la tête, m’a longuement regardé.
J’ai fermé les yeux afin de dissimuler mon émotion, mais aussi comme si je craignais qu’elle découvrît dans mon regard le reflet du spectacle d’horreur auquel je venais d’assister.
49
J’ai cherché à effacer de ma mémoire le souvenir de cette horreur.
Mais les corps des chrétiens étouffés dans leur cachot, au fond de ces puits exigus, ont été entassés sur le forum.
À quelques pas de cet enchevêtrement de cadavres, les esclaves ont déversé des tronçons de chair, des os broyés, des membres calcinés, des têtes coupées, tout ce qui restait des corps suppliciés dans l’amphithéâtre.
La foule s’est pressée autour de ces deux amoncellements macabres gardés par des soldats.
Je n’ai pu m’empêcher de me mêler à la plèbe romaine et gauloise, de rôder autour de ces débris de vie que les chiens, se faufilant entre les jambes des soldats, venaient flairer, lacérer, se disputer.
La foule riait, les encourageait.
J’ai entendu des prêtres de Cybèle ou de Jupiter qui, en gesticulant, prenaient la foule à témoin.
« Ils ont cru en la résurrection, criaient-ils en montrant les corps ou ce qu’il en restait. Et ils ne ressuscitent pas ! Qu’est-ce que ce Dieu unique qui laisse ses croyants mourir dans la souffrance et les abandonne ?
Qu’est-ce que ce Dieu qui ne connaît pas une nation libre, pas un royaume ? Pauvre Dieu, pauvre superstition ! Ou il ne veut pas, ou il ne peut pas secourir les siens ! Il est impuissant ou injuste ! Ceux-là, regardez-les ! Ils ont refusé de vivre et ils ne ressuscitent pas ! Ils ont préféré leur superstition à la vie, et que sont-ils devenus ? De la viande pour les chiens ! »
La foule riait, murmurait qu’il aurait fallu soumettre les chrétiens à des supplices plus cruels. Elle s’indignait : des chrétiens obstinés vivaient encore à Lugdunum, y pratiquaient leur culte. Ils se livraient à leurs repas de chair humaine, à leurs orgies ! Quand donc extirperait-on définitivement ces impies, ces créatures nuisibles qui, pénétrant dans le corps de
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