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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Lugdunum. Mais ma volonté s’était dissoute dans l’oubli devant cet homme dont la sagesse, la mesure, la rigueur interdisaient de croire qu’il pût prendre des décisions aussi cruelles.
    Elles ne pouvaient que lui avoir été imposées par la nécessité.
    Et pourtant j’avais vu le corps déchiqueté de Blandine, celui de Ponticus, d’Attale, de tous les autres dont j’ignorais le nom.
     
    Il m’a semblé que Marc Aurèle, me regardant longuement, devinait mon trouble. Il a murmuré :
    « Je ne dois pas user de ce qui me reste de vie à m’imaginer ce que pensent les autres, à moins que ce ne soit en rapport avec l’intérêt général. »
    Il m’a pris les mains, les a serrées et a ajouté : « Je ne vis pas, Priscus, comme si je devais le faire dix mille ans. L’inévitable est suspendu sur moi. Tant que je vis encore, tant que cela m’est encore possible, je veux devenir chaque jour davantage un homme de bien. Il faut fouiller au-dedans. C’est là que se trouve la source du bien, et elle peut jaillir toujours à nouveau pourvu qu’on fouille toujours. »
     
    Qu’aurais-je pu reprocher à un tel homme, à un empereur que le pouvoir ne grisait pas, qui proclamait son respect pour les philosophes et qui n’hésitait pas à me confier avec une moue de mépris :
    « Alexandre, César, Pompée ? Qui sont-ils en face de Diogène, de Héraclite et de Socrate ? Ces derniers ont pénétré les choses, les causes, les matières ; les principes directeurs de leurs âmes se suffisaient à eux-mêmes. Mais les autres ! Que de pillages, que de gens réduits en esclavage ! »
    Cet homme-là pouvait-il, par respect de la loi, par devoir romain, par souci de ne pas laisser l’Empire empoisonné par la superstition des chrétiens, avoir choisi de livrer aux supplices des hommes, des femmes, des jeunes gens à peine sortis de l’enfance ? Car c’est sur son ordre que le légat impérial avait fait torturer, asseoir sur la chaise de métal chauffé à blanc, les chrétiens de Lugdunum !
    Cette lettre qu’il avait écrite, l’avait-il oubliée lorsqu’il me disait :
    « C’est le propre de l’âme, si elle est raisonnable, d’aimer son prochain, ce qui correspond à la fois à la vérité et au respect. »
    Attale, Blandine, Sanctus, Alexandre, Pothin, Ponticus n’étaient-ils pas ses prochains ?
    Mais il y avait, je le savais, l’« ordre raisonnable de la justice » – ainsi qu’il l’avait écrit –, la rigueur de la loi, le nécessaire respect des dieux de Rome et, face à cela, ces chrétiens qui ne voulaient reconnaître que leur Dieu unique !
     
    À écouter Marc Aurèle, à l’observer, je devinais qu’il était déchiré tout comme je l’étais. Et peut-être comme moi préférait-il oublier, ne pas imaginer les conséquences des ordres qu’il avait donnés, conformes aux lois que son devoir d’empereur l’obligeait à appliquer.
    Cette fatigue que tout son corps, sa voix avouaient, était produite par cet écartèlement entre ce qu’il pensait et ce qu’il faisait.
    Il était las de gouverner.
    La mort s’offrait à lui comme le moyen d’échapper à cette souffrance à l’idée de ce qui allait advenir après lui avec ce fils brutal, borné, cruel, ce Commode qu’il avait choisi comme successeur.
    J’ai parfois pensé que Marc Aurèle, qui méprisait les chrétiens, leur reprochait d’aller vers la mort avec une sorte de hâte, le sentiment qu’elle les libérerait des tourments de ce monde et qu’ils accéderaient ainsi à la Vie éternelle et à la paix par la résurrection, n’était pas si différent d’eux.
    Il m’a dit une fois :
    « Pourquoi tenir à prolonger mon séjour ici-bas ? »
    Puis il s’est repris, comme si cet aveu – ce désir – lui avait échappé, comme s’il avait regretté d’avoir confessé qu’il souffrait de l’ingratitude des hommes, de leur incompréhension, de la nécessité où il se trouvait – c’était son métier d’empereur – d’avoir à les combattre.
    Il avait ajouté :
    « Mais il ne faut pas quitter les hommes avec des sentiments moins bienveillants à leur égard. Non, il faut prendre congé d’eux en restant fidèle à ce qui est mon habitude propre : les quitter dans l’amour, l’indulgence, la miséricorde. »
     
    C’étaient les trois mots qu’employait souvent Eclectos et qui exprimaient, disait-il, les sentiments chrétiens. Était-il donc impossible d’imaginer

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