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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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– le cœur, naturellement, mais aussi un point de la
moelle épinière et deux du cerveau – où le fait d’introduire une lame ou une
pointe cause une mort quasi instantanée et, pour autant que je sache, sans
douleur. C’est pourquoi ils ne sont inscrits que sur un seul papier, car
aussitôt qu’il se trouve dans ma main, la Caresse prend fin. Je conseille
toujours au sujet de prier pour que ce papier sorte vite. Croyez-moi, le
condamné, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, prie en effet, et bien
souvent à voix haute, parfois même très fort. L’intensité de son espoir en
cette chance infime – quatre possibilités sur mille, c’est bien maigre –
ajoute, je dois le reconnaître, un certain raffinement au plaisir que je prends
à son agonie.
    — Excusez-nous, maître Ping, intervint Chingkim,
mais vous n’avez toujours pas mentionné la durée moyenne de la Caresse.
    — Une fois encore, tout dépend, mon prince.
Hormis l’influence de la chance ou de Dieu, impossible à évaluer, cette durée
dépend aussi de moi. Si je ne suis pas pressé par d’autres sujets qui attendent
leur tour, je peux espacer d’une bonne heure deux tirages de papier. Si je
passe à travailler dix bonnes heures dans la journée, et si la chance veut que
tous les papiers ou presque soient tirés, alors la Mort des Mille peut durer un
peu plus de trois mois.
    — Dio me varda ! m’écriai-je. On m’a pourtant dit que Donduk était mort. Or vous ne
l’avez eu que ce matin !
    — Ah ! ce Mongol, en effet. Il est parti
déplorablement vite. Son organisme avait apparemment été quelque peu malmené
par l’interrogatoire précédent. Vous êtes gentil d’ailleurs de compatir, Signou’
Ma’co, je vous en suis reconnaissant. Mais je n’en suis pas exagérément
contrarié. Un autre Mongol est, paraît-il, prêt à prendre sa suite. La seule
chose dont vous pourriez me plaindre, à vrai dire, c’est d’avoir interrompu mes
méditations.
    Je me tournai vers Chingkim et, parlant farsi pour
garantir une totale confidentialité, je lui demandai :
    — Votre père peut-il vraiment décréter de
telles... de si cruelles tortures ? Peut-il tolérer de les laisser
infliger par ce... ce dégénéré qui jouit du supplice des autres ?
    Narine, posté à côté de moi, commença à me tirer la
manche de façon insistante, la mine alarmée. Comme le Caresseur était debout de
l’autre côté de ma personne, je ne pouvais voir aussi bien que Narine le
bouillant regard de haine dont il me transperçait, mieux encore qu’il ne
l’aurait fait avec ses effrayantes sondes.
    Chingkim tentait vaillamment de me dissimuler sa
propre colère. Les dents serrées, il me répondit de façon très académique,
comme si j’étais son aîné :
    — Grand frère Marco, la Mort des Mille n’est
prescrite que pour un nombre fort restreint de crimes, en tête desquels figure
justement... la trahison.
    J’étais en train de réviser précipitamment la façon
dont j’avais jusqu’alors envisagé son père. Car si Kubilaï était capable de
décréter une fin aussi innommable pour deux de ses compatriotes mongols (tous
deux vaillants guerriers, dont le seul crime avait été de rester loyaux au
sous-chef de Kubilaï, son cousin Kaidu), il était clair que je m’étais leurré
en pensant qu’il cherchait, au Cheng, à nous impressionner. Ses sentences ne
visaient à l’évidence en aucun cas à être exemplaires ou à servir
d’avertissement. Il ne se préoccupait pas une seconde de ce que pouvaient
penser les autres. Cette exécution de Donduk et d’Ussu aurait fort bien pu me
rester totalement inconnue, et j’en déduisis qu’elle n’était sans doute pas
conçue pour nous en imposer non plus. Remettre en question, critiquer ou
discuter ses décisions était tout simplement suicidaire, en faire l’éloge
s’avérerait probablement tout aussi stérile. Tout conseil se révélerait quant à
lui futile, car il aurait de grandes chances de rester ignoré. Kubilaï ferait
de toute façon ce qu’il avait décidé. Pour moi, au moins, cet épisode avait été
salutaire. Je décidai une bonne fois pour toutes qu’aussi longtemps que je
résiderais dans le royaume du khan de tous les khans je ne marcherais que sur
la pointe des pieds et ne parlerais jamais trop fort.
    Toutefois, avant de me soumettre définitivement à
cette résolution de docilité absolue, je voulus tenter, une dernière fois, de
changer les choses.

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