Marco Polo
insistance. Si certaines furent au début un
peu surprises, voire critiques, toutes finirent par se rendre à l’évidence et à
approuver cette pratique, au point que l’information filtra que la propreté non
chrétienne n’avait rien, comme on l’avait longtemps cru, d’affaiblissant pour
le corps. Les Vénitiens des deux sexes, de tous âges, améliorèrent ainsi leur
hygiène. Si cette seule coutume des Han put contribuer au bien-être de toute la
cité de Venise, je fus heureux d’avoir permis à mes concitoyens, pour ainsi
dire, de faire peau neuve.
Notre deuxième enfant naquit un an plus tard, à un ou
deux jours près, lui aussi sans difficulté, mais pas au même endroit. Le doge
Gradenigo m’avait un jour convoqué et demandé si j’accepterais un poste
consulaire à l’étranger, à Bruges, en l’occurrence. C’était un honneur que
d’être promu à cette fonction, et j’avais déjà, à cette époque, formé une bonne
équipe d’assistants susceptibles de veiller aux intérêts de la Compagnie si je
venais à m’absenter. Il était évident que je pourrais, une fois à Bruges,
pratiquer pour notre compte de fructueuses opérations. Mais je réservai un
temps ma réponse. Bien que le poste fut sis en Flandres, qui étaient de bonnes
terres chrétiennes, je jugeai bon d’en conférer d’abord avec Donata.
Elle tomba d’accord avec moi sur le fait qu’il lui
serait profitable, pour une fois dans sa vie, de découvrir quelque chose d’extérieur
à sa Venise natale. J’acceptai donc le poste. La seconde grossesse de Donata
était déjà fort avancée au moment de notre départ, mais nous avions demandé à
notre médecin accoucheur Abano de nous accompagner. La traversée ayant lieu sur
une lourde cogge flamande, solide comme un roc, elle ne causa nulle peine à
Donata, pas plus qu’à notre fille. Le docteur, en revanche, fut malade tout du
long. Il s’en était remis, heureusement, lorsque le terme échut, et cette autre
naissance ne fut pas plus pénible. Pas assez pour Donata sans doute,
puisqu’elle eut de nouveau à s’en plaindre, ayant mis au monde une autre fille.
— Chut, chut, lui dis-je. Dans les terres de
Champa, un homme et une femme ne sont considérés comme mariés que lorsqu’ils
ont produit deux enfants. Tu vois, nous venons tout juste de commencer.
Nous appelâmes cette enfant Bellela.
Venise entretenait un consulat permanent à Bruges,
donnant ainsi l’occasion à ses plus nobles citoyens d’y représenter la cité à
tour de rôle. Deux fois l’an, une flotte de galères vénitiennes prenait la mer
du port de Sluys, dans les faubourgs de Bruges, chargée du produit de toute l’Europe
du Nord. Cette année passée dans l’agréable résidence consulaire de la place de
la Bourse, luxueusement meublée et pourvue de tout le confort souhaitable, y
compris d’un nombre conséquent de domestiques, fut pour notre petite famille
des plus délectable. Je n’étais pas surchargé de travail, n’ayant guère plus à
faire que contrôler deux fois l’an les listes des cargaisons de nos navires et
décider s’ils vogueraient droit sur Venise ou si, ayant de la place disponible
pour embarquer d’autres denrées, certains pourraient faire route via Londres
ou Southampton, en traversant la Manche ou en passant par les îles d’Ibiza ou
de Majorque, en Méditerranée, pour y charger quelques produits locaux.
Les distractions ne nous manquèrent pas lors de cette
année : Donata et moi, royalement reçus par les autres délégations et par
les familles de marchands flamands, assistâmes à de multiples bals, banquets ou
fêtes locales telles que la Procession du Sang sacré. Nos hôtes avaient en
général lu le Devisement du Monde, et tous parlaient le sabir, la langue
commerciale par excellence, aussi avais-je à répondre à maintes questions sur
telle ou telle partie de l’ouvrage, lorsque je n’étais pas encouragé à en
étoffer certains aspects. La soirée se prolongeait souvent fort tard, chacun
souhaitant poursuivre la conversation. Donata y assistait assise, avec sur les
lèvres un sourire de propriétaire. Tant que des dames étaient présentes, je me
confinais à des sujets inoffensifs.
— Notre flotte était ce jour-là chargée du
savoureux hareng de votre mer du Nord, mes seigneurs marchands. En dépit de
l’excellent goût du poisson salé, fumé ou macéré au vinaigre, je le préfère
frais, comme celui que nous avons pu apprécier
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