Marcof-le-malouin
chantes-tu là, corbeau de mauvais augure ?
– La vérité. Ce mariage doit être notre plus puissant auxiliaire.
– Explique-toi clairement.
– Sachez donc que mes mesures étaient prises. Aujourd’hui même, jour de la bénédiction des deux promis, la fête de la Soule devait avoir lieu.
– Qu’est-ce que c’est que la fête de la Soule ?
– Une vieille coutume du pays qu’il serait trop long de vous expliquer.
– Passons alors.
– Jahoua, le fiancé d’Yvonne, aurait été tué à cette fête.
– Bah ! vraiment ?
– Vous comprenez quel tumulte aurait occasionné sa mort.
– Sans doute !
– Dès lors, rien n’était plus facile, par ruse ou par violence, que de s’emparer d’Yvonne.
– Tiens ! tiens ! tiens ! s’écria le chevalier en riant ; mais c’était fort bien imaginé tout cela !…
– D’autant plus que j’aurais augmenté ce tumulte par des moyens qui sont à ma disposition, et peut-être réussi à faire un peu de politique en même temps.
– Très-ingénieux, sur ma foi !
– Malheureusement, vous le savez, la fête de la Soule et le mariage sont reculés. Il faut donc ajourner notre expédition.
– Je ne suis pas de ton avis.
– Cependant…
– Je veux enlever Yvonne aujourd’hui, et, morbleu ! je l’enlèverai !
– Sans moi ?
– Avec toi, au contraire.
– Comment cela ?
– Écoute-moi attentivement.
Carfor fit signe qu’il était disposé à ne pas laisser échapper un mot de ce qu’allait dire le chevalier.
– Nous disons, continua celui-ci, qu’il te faut un tumulte quelconque dans le village de Fouesnan ?
– Oui, répondit le berger.
– Cela est indispensable ?
– Tout à fait.
– Eh bien ! mon gars, j’ai ton affaire.
– Je ne comprends pas.
– Tu sauras qu’aujourd’hui même il y aura à Fouesnan, non-seulement un tumulte, mais encore un véritable orage, une émeute même, et peut-être bien un commencement de contre-révolution.
– Expliquez-vous, monsieur le chevalier ! s’écria Carfor avec anxiété.
– Comment, tu ne sais rien ?
– Rien !
– Toi ? un agent révolutionnaire ? continua le gentilhomme, ou celui qui en portait l’habit, ravi intérieurement de prouver au berger que lui, Carfor, n’était qu’un de ces agents subalternes qui ne savent jamais tout, tandis que lui, le chevalier de Tessy, connaissait à fond les intrigues politiques du département.
Carfor, effectivement, laissait voir une vive impatience. Le chevalier reprit :
– Voyons, je veux bien t’éclairer. Tu dois au moins savoir que, depuis quelques mois, une partie de la Bretagne s’agite à propos des prêtres.
– Pour le serment à la constitution ?
– C’est cela.
– Oui, les assermentés et les insermentés, les jureurs et les vrais prêtres, comme on les appelle dans le pays.
– Parfaitement.
– Je savais cela, monsieur ; mais je savais aussi que, jusqu’ici, la Cornouaille était restée calme, et que le département ne tourmentait pas les recteurs comme dans le pays de Léon, dans celui de Tréguier et dans celui de Vannes…
– Oui, mon cher ; mais tu n’ignores pas non plus que l’Assemblée législative a rendu un décret par lequel il est formellement interdit aux prêtres non assermentés d’exercer dans les paroisses ? Comme tu viens de le dire, la Cornouaille, autrement dit le département de Finistère, n’avait pas encore sévi contre ses calotins. Mais l’administration a reçu des ordres précis auxquels il faut obéir sans retard.
– Elle va sévir contre les recteurs ? demanda vivement Carfor dont l’œil brilla d’espoir.
– Sans doute.
– En êtes-vous certain ?
– J’en réponds.
– Et quand cela ?
– Tout de suite, te dis-je.
– Bonne nouvelle !
– Excellente, mon cher. Es-tu curieux de connaître l’arrêt de l’administration ?
– Certes !…
– J’en ai la copie dans ma poche.
– Oh ! lisez vite, monsieur le chevalier !
Le chevalier prit un papier dans la poche de son habit, et il s’apprêta à en donner lecture.
– Écoute, dit-il, je passe sur les formules d’usage et j’arrive au point important :
– Nous, administrateurs, etc., etc. Ordonnons ce qui suit :
« 1° Que toutes les églises et chapelles, autres que les églises paroissiales, seront fermées dans les vingt-quatre heures.
« 2° Que tous les prêtres insermentés demeureront en état
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