Marguerite
Après les avoir trouvés, elle laça rapidement son corset sur la chemise dans laquelle elle avait dormi, puis passa par-dessus le tout la chemisette au col de dentelle.
— Je suis bientôt prête, annonça-t-elle pour faire patienter le docteur qui attendait de l’autre côté de la porte, tandis qu’elle enfilait rapidement jupons et jupe comme si sa vie en dépendait. Pas question que son mari ne la trouve à moitié nue ! Elle ouvrit enfin à Alexandre.
— Bonjour ma chère, fit aimablement ce dernier en entrant dans la pièce, les bras chargés de sa robe qu’il déposa sur le lit. Comme tu en auras besoin ce soir, j’ai pensé qu’il faudrait l’étendre pour qu’elle se défroisse. Mais, mais, mais? Que signifient ces yeux rougis? interrogea-t-il en l’examinant de plus près. Mal dormi ?
Marguerite eut un léger mouvement de recul et se détourna.
— C’est bien bruyant ici, prétendit-elle pour éviter la question. Jamais j’aurais cru qu’on puisse entendre autant de vacarme la nuit !
— C’est vrai que ces fenêtres donnent sur la place où circulent nombre de voitures, convint Alexandre. Mais allons-y, dit-il d’un ton joyeux, car nous avons une nouvelle journée devant nous, une journée qui offrira quelques surprises à la nouvelle madame Talham.
— Des surprises ?
Alexandre lui répondit par un sourire énigmatique et refusa d’en dire plus.
— Tu dois avoir faim. Allons déjeuner.
Ils descendirent dans la grande salle de l’hôtel et s’installèrent à une table où on leur apporta du thé.
— Ici, on ne sert pas de chocolat, s’excusa Alexandre, sachant que Marguerite, en bonne Canadienne, aimait cette boisson au lait chaud, surtout le matin. Aimerais-tu plutôt du café ? Généralement, c’est ce que je préfère, mais le thé servi chez Dillon est le meilleur qu’on puisse trouver dans tout le Bas-Canada. Les dames de la société apprécient de plus en plus le rituel du thé de l’après-midi si cher aux Britanniques, ajouta-t-il, d’un ton amusé. Peut-être est-ce la faute de ces délicieux gâteaux qui accompagnent les thés anglais ?
— Chez nous, on sert parfois du thé à la visite, mais ma mère aussi préfère le café. Mon père n’aime ni l’un ni l’autre.
Il ne boit que du rhum. Mais l’été, quand il fait chaud, il fait comme nous et boit des tasses de l’eau fraîche du puits.
— Avant de repartir pour Chambly, nous irons donc chez Cuvillier faire amples provisions de café et de cacao.
Talham commanda du café et du lait chaud à son épouse et choisit le thé pour lui-même.
— Viens.
Il l’entraîna vers une table garnie de plats de divers poissons fumés, de jambon et d’autres victuailles. Marguerite préféra plutôt une grosse tranche de pain, du beurre et de la confiture.
— Alors ? demanda Talham pendant qu’ils se restau-raient. Ma belle Marguerite n’est pas curieuse? Aucune question sur la surprise annoncée ?
—Je n’ose pas, docteur, répondit vivement Marguerite en trempant soigneusement son pain dans le café.
— Encore ce vilain « docteur » qui revient ! Il faut corriger cela au plus vite.
Marguerite le regarda d’un air gêné, mais son mari n’insista plus et dégusta son thé.
— Eh bien, puisque tu ne poses pas de questions, je t’annonce que ce soir, le docteur Talham et sa charmante épouse iront au théâtre ! Qu’en dis-tu ?
— Au théâtre ? s’exclama Marguerite, qui ne connaissait qu’une seule pièce. Avec Chimène et Rodrigue ? J’ai lu Le Cid avec Emmélie, ajouta-t-elle fièrement. C’était très beau et très triste.
— Je vois que la bibliothèque de Monsieur Boileau sert à instruire les jeunes filles, ironisa son mari. Je propose plutôt Molière, qui saura t’amuser. Nous irons entendre les comédiens du Théâtre de société qui jouent Le Festin de pierre ou Dont Juan. Hier, à ma demande, monsieur Dillon a envoyé un de ses engagés acheter des billets { l’hôtel Hamilton.
—Jouent? Ils ne lisent donc pas ? s’étonna Marguerite.
— Au théâtre, des comédiens interprètent ou jouent la comédie.
Jusqu’{ la fin du repas, Alexandre expliqua à Marguerite ce qu’était le théâtre, parlant avec passion de ce Molière qui avait si bien diverti le grand roi de France, Louis XIV.
Le même à qui on avait dédié le fort Saint-Louis, à Chambly, en 1665. Marguerite se montrait une élève attentive et curieuse. Elle était bien ignorante, sa petite
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