Marguerite
angoisse.
L’enfant était magnifique, malgré sa petite peau toute chiffonnée. Victoire avait interdit à la bonne femme Stébenne de refaçonner
la
tête
de
l’enfant
comme
le
fai-
saient les sages-femmes croyant bien faire.
— Il te ressemble, pareil à toi, le jour de ta naissance, dit-elle à sa fille. Regarde, il a ton petit nez. Présente ton téton, lui conseilla-t-elle, émue. Entendez-moi ce gaillard qui réclame son dû ! Tu verras, il va le téter comme s’il n’avait fait que ça depuis toujours.
— Faut pas le faire boire tout de suite, prévint alors la Stébenne. Les humeurs chaudes de la délivre et celles, froides, du sang se mêlent au lait et donnent un mauvais goût. Ça porte malheur.
— Encore des radotages de bonne femme, déclara "Victoire en consultant son gendre du regard.
Ce dernier approuva :
— Le lait des premières heures est le meilleur, ajouta le docteur. C’est ce que disent les grands docteurs d’aujourd’hui, la mère Stébenne.
— Je me demande bien qu’est-ce qu’ils peuvent connaître aux nourrissons, ces grands savants-là, grommela la sage-femme en poursuivant sa besogne tandis que Marguerite suivait le conseil de sa mère et tendait un sein au petit Melchior, qui se mit à téter vigoureusement.
— Tu vois, dit Victoire { Madeleine Stébenne, d’un air de défi, c’est aussi simple que ça.
— Toi, rétorqua la sage-femme d’un ton bourru, va te reposer avant que je sois obligée de faire un autre accouchement prestement. Dans ton cas, ça risquerait de mal tourner.
— Elle a raison, fit le docteur. Madame Lareau, vous en avez trop fait, vous devez être exténuée. Vous avez droit au repos et il n’est pas question que vous retourniez chez vous ce soir. Je vous fais préparer un lit par Charlotte. D’ailleurs, comme il vous faudra revenir ici demain matin pour le baptême de votre
premier
petit-fils,
vous
serez
déjà
sur
place, ajouta-t-il joyeusement. Ne vous inquiétez pas, votre cousin Boileau fera prévenir chez vous.
Madame Boileau approuva du chef. Moulue, Victoire se laissa entraîner { l’étage et s’effondra dans l’un des deux fauteuils de la chambre de compagnie. Emmélie en profita pour verser à sa tante un petit verre de vin de madère.
— Tenez ma tante, prenez ça. Je vais vous trouver quelque chose pour que vous allongiez vos jambes. Ce n’esi pas le moment pour vous de tomber malade.
— Merci, chère Emmélie, répondit faiblement Victoire en prenant le verre que sa nièce lui tendait. Tu es bien charitable.
En bas, l’inépuisable madame Boileau donnait des ordres pour qu’on sorte dehors la paillasse qui avait servi de lit de misère. Demain, on la brûlerait. Le docteur, aidé de Monsieur Boileau et de Charlotte qu’on avait fait sortir de sa cuisine, maintenait fermement la jeune femme pour l’aider { monter { sa chambre. Une fois l’accouchée installée dans un lit propre et frais, madame Boileau lui fit apporter un peu de bouillon pour la réconforter.
— Marguerite, prends-en quelques cuillerées, lui conseilla sa cousine en lui présentant un bol fumant. Ça va te fortifier.
De son côté, sa tâche étant enfin terminée, la sage-femme accepta bien volontiers un bol de soupe et un verre de madère que madame Boileau lui fit porter. Avant de repartir, la Stébenne s’approcha de Victoire :
— Fais pas ça toute seule, cette fois-ci, lui recommandat-elle d’une voix paisible qui contrastait avec le ton autori-taire dont elle usait habituellement. Laisse de côté ta tête de cochon et promets-moi de me faire appeler.
Le regard plein de bienveillance de Madeleine Stébenne
{ Victoire disait clairement qu’il était temps de mettre de côté les vieilles disputes. L’orgueilleuse Victoire céda et acquiesça d’un signe de tête. La Stébenne parlait d’or.
Une fois Marguerite bien installée dans son lit d’accouchée, Monsieur Boileau interpella le docteur.
— La pluie a cessé. Remettons-nous de ces émotions en allant annoncer l’heureux événement au parrain. La cave de Rouville vaut le détour, croyez-moi.
— Pourquoi pas, ami Boileau ? fit Talham. Tout à coup, il avait envie de proclamer sa joie d’être père { la face du monde.
L’orage passé, l’air du soir embaumait, exhalant les riches odeurs de la fin de l’été. Les deux hommes montèrent dans la berline de Boileau et partirent en direction du faubourg.
— En passant, nous préviendrons le
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